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REVUE. — CHRONIQUE.

reuse alliance des deux talens que ces deux noms représentent. Ordinairement, quand deux arts concourent à une même œuvre, il en est un qui se sacrifie à l’autre. Le libretto s’efface devant la partition. Là y a complète égalité entre le mérite du texte et celui des vignettes. La phrase fait chercher le dessin, mais le dessin ne fait pas oublier la phrase. Depuis la première page jusqu’à la dernière, c’est entre l’artiste et l’écrivain une émulation de gaieté qui se traduit en plaisantes boutades de style et de coups de crayon.


La Duchesse de Mazarin[1] est une gracieuse et intéressante étude des mœurs du XVIIe siècle. Saint-Évremond, Mme de Sévigné et Saint-Simon ont inspiré à M. Alex. de Lavergne la pensée d’un roman écrit avec enjouement et élégance, qui est appelé, nous n’en doutons pas, à obtenir un légitime succès. Tout le monde se souvient de cette belle Hortense de Mancini, qui poussait contre son mari le cri de guerre dont les frondeurs poursuivirent si longtemps le successeur de Richelieu : Point de Mazarin ! point de Mazarin ! C’est la vie de cette impétueuse beauté que M. de Lavergne a entrepris d’écrire. Quoique je soupçonne un peu le romancier d’être favorable à la révolte de son héroïne contre les droits du mariage, il a mis tant de bonne grace et d’aimable discrétion dans son livre, qu’il a tout-à-fait esquivé le reproche d’immoralité. D’ailleurs ce duc de Mazarin, qui, suivant Saint-Simon, voulait faire casser les dents de sa fille pour la soustraire aux périls d’une beauté trop accomplie, ce duc de Mazarin était, pour me servir d’une expression de Molière, un mari loup-garou. Il est donc de bonnes et valables excuses à la guerre que lui fit sa femme. Enfin, juste ou non, cette guerre est des plus piquantes. Le caractère d’Hortense de Mancini, pétulant, capricieux, irréfléchi, mais d’une grace conquérante, forme un contraste du meilleur effet avec le caractère morose, faible, jaloux et repoussant du duc de Mazarin. À côté de ces deux personnages, M. de Lavergne a trouvé moyen d’en dessiner un troisième qui joue un rôle fort important dans son livre. M. le maréchal-de-camp de Saint-Évremond nous a laissé lui-même avec beaucoup de complaisance des documens fort abondans sur sa personne. M. de Lavergne a su puiser avec discernement, dans les volumes de vers et de prose qu’écrivit ce courtisan lettré, tout ce qui pouvait lui servir à composer une physionomie vivante. Les œuvres de Saint-Évremond paraissent un peu longues à des gens qui n’ont plus dans leurs bibliothèques les romans de Mlle de Scudéry ; mais cependant on y rencontre maintes fois des pensées fines et des saillies heureuses. Voltaire n’a point dédaigné de citer en matière littéraire l’opinion de cet esprit galant et cultivé. Nous sommes donc persuadés qu’on prendra plaisir au portrait tracé par M. de Lavergne d’un écrivain que les dimensions extravagantes de ses canons n’empêchèrent point de raisonner juste. En résumé, la Duchesse de Mazarin peut satisfaire et les gens qui

  1. Deux volumes, in-8o, chez Dumont, Palais-Royal.