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foi des lois, ni de la légitimité que de longs et pénibles sacrifices avaient donnée au monopole dont elle jouissait ; elle parla à l’orgueil de la nation. Convenait-il à la sécurité et à la dignité d’un grand peuple de dépendre des nations étrangères pour sa subsistance ? Pendant vingt-cinq ans d’une lutte acharnée, la mère-patrie avait doublé sa fécondité pour nourrir ses enfans ; n’était-ce pas aux généreux efforts de la terre que la Grande-Bretagne avait dû son salut et son indépendance ? L’Europe respirait à peine, Napoléon, du fond de son île, troublait encore les veilles des rois et le repos des peuples : fallait-il donc abandonner l’arche sainte de l’agriculture, et se confier à la merci du pain de l’étranger ?

Ce langage avait encore de l’écho dans le cœur du peuple. Cependant, à mesure que la paix se raffermit et que les relations internationales s’étendirent et se consolidèrent, les funestes effets du système prohibitif apparurent à tous les yeux, et la législation des céréales, n’ayant plus pour excuse les circonstances exceptionnelles qui l’avaient fait naître, commença à devenir aussi odieuse qu’elle était oppressive. On vit qu’elle frappait à la fois le revenu public, le producteur et le consommateur. Il ne faut pas croire, en effet, que la différence du prix du blé indigène sur le prix du blé étranger allât intégralement grossir les revenus des propriétaires ; la culture elle-même en absorbait et en gardait la plus grande partie. Le sol avide buvait l’or et ne le rendait pas, de sorte que des millions qui auraient pu servir à amortir la dette publique étaient chaque année stérilement enfouis dans le sein de la terre.

Il ne faut pas croire non plus que les fermiers fussent régulièrement protégés par cette législation, qui semblait faite pour eux. Quand un peuple veut maintenir chez lui le prix des grains à une élévation forcée, il est nécessaire non-seulement qu’il exclue les produits étrangers dans une certaine proportion, mais encore qu’il ne remplisse pas lui-même outre mesure ses propres marchés, car alors la fécondité de la terre engendre la ruine du cultivateur. En effet, si la production a été accrue au point de suffire aux besoins de la population dans les années de récolte moyenne, il doit arriver que, dans les années très productives, il y aura surabondance sur les marchés, et alors le cultivateur, embarrassé de produits superflus, n’a de ressource que dans l’exportation. C’était précisément dans ces années d’abondance que le producteur anglais ressentait les effets du système factice qu’il appliquait à la culture, car, avant de pouvoir exporter, il était forcé de réduire ses prix au niveau des prix des marchés étran-