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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/108

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que les effets de ces lois perverses se faisaient sentir sur tous les points du globe.

Tant que l’influence de la propriété foncière domina sans partage dans la législature et dans le pays, la législation des céréales fut maintenue, et le fut même avec une sorte de popularité. Cependant une population toute nouvelle grandissait à côté de la population agricole, l’invention des machines redoublait l’élan de l’industrie en multipliant les moyens de production, et peu à peu la fortune publique se dirigeait presque exclusivement vers le commerce d’exportation. Or, comme les lois qui frappaient l’importation des grains, en arrêtant l’échange, tarissaient dans sa source le commerce intérieur, l’opinion publique se retourna insensiblement contre elles, et d’année en année la question de la réforme gagna du terrain. Dans presque toutes les sessions, un membre radical de la chambre des communes, M. Villiers, frère du comte de Clarendon, faisait une motion pour l’abolition des lois sur les céréales. Mais ces tentatives réitérées se neutralisaient par leur propre exagération ; car, comme le parti radical réclamait une abolition complète des droits protecteurs de l’agriculture, il réunissait contre lui les whigs et les tories. Néanmoins, ces discussions répétées se répandaient dans le pays, la question s’éclaircissait, elle descendait à la portée de toutes les intelligences, et se popularisait dans les classes ouvrières. Quelques grands propriétaires se mettaient eux-mêmes à la tête du mouvement, et dans la chambre des lords le comte de Fitz-William et le comte de Radnor prononçaient contre la législation des céréales les harangues les plus révolutionnaires.

Toutefois une réforme radicale ne pouvait avoir aucune chance de succès dans un pays où, malgré l’influence croissante de l’industrie, le pouvoir législatif est toujours resté dans les mains de l’aristocratie territoriale, et où le parti réformiste lui-même a pour chefs des représentans de la propriété foncière. La législation des céréales ne devait être véritablement atteinte que lorsque des hommes d’opinions modérées en demanderaient, non pas l’abolition, mais la modification. Or les whigs, auxquels appartenait cette initiative, reculaient d’année en année la solution d’une question dans laquelle leurs propres intérêts se trouvaient engagés. Nous ne voulons point faire un paradoxe en disant que si les tories eussent été en possession du pouvoir pendant les douze dernières années, les lois des céréales eussent été modifiées beaucoup plus tôt, car toutes les nuances de l’opposition, les whigs et les radicaux, auraient fait cause commune, et, soutenus