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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/150

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sur le consommateur, au profit des entrepreneurs indolens ou inhabiles. Si chaque pays, consultant seulement son climat, ses aptitudes ou ses moyens financiers, se contentait de fabriquer ce qu’il peut fournir avec le plus d’avantages ; si l’échange des produits était libre entre les peuples, il y aurait équilibre de toutes les facultés, satisfaction de tous les besoins. Les effets désastreux de la concurrence seraient neutralisés : chaque pays, pouvant calculer sa production sur un débit à peu près assuré, ne pousserait plus à l’accroissement de la classe ouvrière, en donnant à son industrie une extension démesurée. Examinons au contraire ce qui se passe dans le domaine de la réalité. Toute marchandise qui a besoin d’être protégée contre l’importation étrangère est supérieure en prix ou inférieure en qualité : la différence est donc une perte réelle infligée au public qui consomme. L’industrie privilégiée commence par réaliser des bénéfices, et sa propriété attire vers elle des capitaux qui lui font prendre un développement exagéré. Alors, de fatiguée par la concurrence qu’elle doit soutenir à l’extérieur dans des conditions défavorables, elle achève sa ruine à l’intérieur par la concurrence qu’elle se fait à elle-même. Pour soutenir cette double guerre, elle est obligée de sacrifier les ouvriers qu’elle emploie. Ce n’est pas tout : la prétention de vendre sans acheter est une folie ; les nations voisines dont vous avez usurpé les spécialités usent forcément de représailles, et proscrivent vos produits naturels. Ainsi les industries légitimes tomberont en langueur comme les industries factices : dès-lors, travail insuffisant, abaissement des salaires, misère et anxiété générales.

Théoriquement, cette démonstration est inattaquable. Il n’est pas douteux que les prohibitions sont funestes, et que le devoir des administrateurs est de les réduire autant que possible ; mais, relativement au cas spécial qui nous occupe, il nous semble que les économistes de l’école anglaise ont éludé la difficulté plutôt qu’ils ne l’ont résolue. Le remède qu’ils proposent pour le soulagement de la classe ouvrière n’a qu’un défaut, celui d’être en quelque sorte inapplicable dans l’état actuel des relations internationales. Ceux qui avancent le principe y posent eux-mêmes des restrictions qui suffiraient pour en neutraliser l’effet. De leur aveu, il y aurait imprudence à laisser dépérir les industries indispensables pour la sécurité et la subsistance d’un peuple. Il ne faudrait pas, par exemple, s’exposer à être affamé par une coalition qui gênerait les arrivages. On ne doit pas non plus renoncer à la fabrication des armes, à l’élevage des chevaux, quand même il serait démontré qu’on peut en obtenir au dehors à meilleur compte que chez soi. On admet aussi qu’un gouvernement doit accorder une protection temporaire aux industries qui peuvent être naturalisées avec avantage. On nous accordera sans doute que certaines circonstances imprévues pourraient nécessiter encore l’intervention protectrice des gouvernemens : dans le cas, par exemple, où un pays verrait son exploitation spéciale mise en péril par quelque grande invention mécanique, ou bien, s’il arrivait qu’un voisin déloyal, spéculant sur la supériorité de ses