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REVUE DES DEUX MONDES.

Arolise demanda au père Leleu s’il connaissait M. de Wierstein.

Leleu. — Je ne l’ai jamais vu.

Mme de Liriau. — N’a-t-il pas une propriété sur la rivière ?

Leleu. — Oui, une île très grande ; vous avez dû la voir l’autre jour. Mais on n’y laisse entrer personne. Son homme d’affaires a acheté à Richard le droit de passage ici, et on me le loue presque pour rien, à la condition que je ne conduirai jamais personne dans l’île de M. de Wierstein. Celui qui était ici avant moi a perdu le passage à cause de cela.

Mme de Liriau. — Croyez-vous que Louis nous y conduirait ?

Leleu. — Il ne l’oserait pas plus qu’un autre ; M. de Wierstein lui ferait retirer sa permission de pêche. Il a pris la pêche de la rivière à ferme.

Mme de Liriau. — C’est égal, je le lui demanderai ; j’espère qu’il ne me refusera pas.

Leleu. — Pour moi, vous me donneriez cent francs que je ne vous y conduirais pas ; mais Louis est maître de faire ce qu’il veut. Cependant, comme c’est un bon garçon, je lui conseillerai de n’en rien faire, dans son intérêt.

Arolise avait remarqué l’admiration profonde du pêcheur pour elle ; mais c’était, à ses yeux, s’acquitter d’un hommage que tout homme lui devait : elle n’en était pas autrement touchée. Cependant, le lendemain, elle avait changé entièrement de manières avec lui ; Mélanie en fut surprise, et Louis s’en aperçut lui-même. Pendant les autres promenades, elle s’était laissé être jolie ; mais ce jour-là, elle mettait en évidence tous ses avantages, elle tendait tous ses gluaux, comme disait sa nièce à Caroline.

Il est impossible, pensait Mélanie, que le seul désir d’obtenir que ce garçon la conduise dans la propriété de M. de Wierstein mette ma tante ainsi sous les armes.

Il n’est pas probable, se disait le pêcheur, qu’il se soit opéré une aussi rapide métamorphose dans les manières de Mme de Liriau à mon égard, sans qu’il y ait là-dessous quelque chose que je ne sais pas.

En effet, les batteries d’Arolise ne tiraient pas de haut en bas, comme il était à présumer qu’elles devaient faire pour attaquer et réduire un ennemi aussi humble que le pauvre pêcheur Louis ; elles étaient dirigées horizontalement, c’est-à-dire comme elles devaient l’être contre un adversaire placé sur le même terrain que l’agresseur.

Le père Leleu avait rapporté à Louis le fragment de conversation