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LES ÉTATS DE LA LIGUE.

tradictions, des répliques, toute une petite guerre, ici sur le terrain des faits, là sur le terrain des idées. Heureusement la science tire cet avantage des paradoxes, que l’attention s’éveille par là sur des points peu connus ou mal étudiés, et que des travaux en sens divers se produisent d’où la lumière à la fin sort au profit de la vérité.

Entre les publications qui pouvaient particulièrement éclairer cette phase si intéressante, si long-temps négligée de la ligue, il faut assurément compter les procès-verbaux inédits, et naguère encore inconnus, des états de 1593. On en était en effet réduit, pour l’histoire de cette assemblée, à un petit nombre de pièces déjà recueillies et aux témoignages peu explicites des écrivains contemporains, si bien qu’il y a quelques années à peine, dans son Histoire des Français, M. de Sismondi se plaignait, avec l’amertume d’un érudit leurré, de cette regrettable lacune, que l’auteur d’un travail sur les d’Urfé, M. Auguste Bernard, vient aujourd’hui combler avec un zèle empressé et louable. Le zèle par malheur a quelquefois ses inconvéniens, et je ne sais si l’éditeur a toujours su s’en garder. M. Bernard a trouvé les états de 1593 en assez mauvaise réputation : les nommer, jusqu’ici c’était provoquer le sourire, c’était remettre en jeu les sarcasmes de la Satire Ménippée. Que si on consultait les historiens eux-mêmes, si on remontait aux sources du temps, assurément ce n’était pas l’admiration qu’on retirait de l’examen. Pour être juste, cependant, n’y avait-il point à appeler de ce premier jugement ? Oui, puisque les documens officiels n’étaient pas connus. Aujourd’hui au moins on peut prononcer pièces en main, on peut, s’il y a lieu, réviser l’arrêt sévère porté par les contemporains de Henri IV et par tous les historiens sans exception depuis deux siècles. L’éditeur des États prend le parti des états, rien de plus naturel, et il continue son rôle en égratignant les auteurs de la Satire Ménippée : cela ne serait pas sans quelque courage, car il est toujours dangereux d’avoir contre soi les gens d’esprit ; mais M. Bernard, comprenant sans doute que la tâche d’éditeur a ses scrupules et veut quelque impartialité, semble n’avoir pas osé énoncer son opinion véritable ; seulement il la glisse obscurément entre deux notes, il la laisse poindre avec complaisance sous la trame plus ou moins serrée de son érudition, il permet qu’on la devine à travers des allusions méticuleuses, à travers des insinuations réservées, qui ont la bonne intention d’être fines et d’atteindre les écrivains qui ne sont pas du même avis. La plume délicate d’un Daunou s’en serait tirée au naturel ; M. Bernard laisse trop voir qu’il eût bien fait de lire plus souvent la Ménippée, et de ne pas tant douter « du mérite qu’on lui attribue. »

Assurément, il est permis d’aimer la ligue, et c’est là un plaisir assez innocent, une sorte de dilettantisme historique que, sans nuire à leur prochain, se donnent beaucoup d’honnêtes gens de ce temps-ci. Je n’en veux pas le moins du monde à M. Bernard de ses secrètes prédilections pour le gouvernement de l’Union ; seulement, pourquoi n’a-t-il pas tenu plus haut sa ban-