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FEU BRESSIER.

— Pierre ! il y a quelqu’un sur le toit.

— Allons donc ! maître Renaud, vous n’y pensez pas.

— Je te dis qu’il y a quelqu’un sur la maison.

— Et moi, je vous dis que vous rêvez.

— Je ne rêve pas, et, si tu n’y vas pas voir, je vais me lever et y aller.

— Allons, Pierre, vas-y, dit la femme du malade.

— J’y vais, maître Renaud. — Et il se leva.

— Pierre, dit maître Renaud, je veux que tu prennes ton fusil.

— Mais puisqu’il n’y a rien.

— Prends-le tout de même.

Pierre sortit avec son fusil, qu’il décrocha du dessus de la cheminée. Il regarda machinalement et seulement pour complaire à son maître, et allait rentrer, lorsqu’il aperçut une forme humaine qui gravissait le toit avec peine.

— Ohé, l’ami, cria-t-il, que faites-vous là-haut, s’il vous plaît ?

On ne répondit rien.

— L’ami, vous jouez un mauvais jeu. Je vous jure par la mort-dieu que, si vous ne descendez, ou ne répondez au plus vite, je vous campe un coup de fusil.

Même silence.

— Ne prenez pas cela pour une menace, il est chargé, et de bonnes chevrotines encore.

Seeburg ne répondit pas, et atteignit alors la crête du toit.

— Une fois, deux fois, faites-y bien attention. Une fois ; à la fin c’est trop se moquer du monde ; une fois, deux fois, trois fois, descendez-vous ?… Non, eh bien ! tant pis pour vous.

Il ajusta et lâcha le coup de fusil ; Seeburg, en voyant son mouvement, se coucha à plat-ventre sur le côté du toit opposé à Pierre ; le coup porta partie dans le chaume, partie au-dessus du toit ; quelques chevrotines atteignirent les iris, et en coupèrent un sur sa tige. Seeburg le ramassa, en cueillit trois ou quatre autres, et se laissa glisser jusqu’à terre, où il arriva un peu meurtri ; puis, tandis que Pierre faisait le tour de la maison pour le rejoindre, il avait sauté par-dessus une haie, et s’était perdu dans la nuit.

— Il faut que ce garçon-là soit bien amoureux de la femme à laquelle il porte ces fleurs, se dit l’ame de feu Bressier, qui était restée dans l’iris coupé par la chevrotine ; s’il est aimé comme il aime, je naîtrai d’elle et de lui ; le gaillard n’est pas timide et ne me fera pas attendre bien long-temps le moment opportun.