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HISTORIENS ESPAGNOLS.

On remarquera cependant le mot dont se sert Melo pour caractériser la guerre qu’il va raconter : una guerre como civil, une sorte de guerre civile. Ce n’était pas tout-à-fait une guerre civile au temps de Melo qu’une lutte entre Castillans et Catalans. « Parmi les nations de l’Espagne, dit ailleurs l’historien, la Catalogne est la plus attachée à sa liberté ; entre las mas naciones de España, son amantes de su libertad. » Encore aujourd’hui, l’esprit de cette province est particulièrement indépendant ; c’était bien autre chose encore il y a deux siècles. Avant d’être complètement réduite par Philippe V, Barcelone n’a pas soutenu moins de cinq siéges en soixante ans, et le dernier, en 1713 et 1714, contre les forces réunies de la France et de l’Espagne. Le soulèvement dont il s’agit fut un des plus terribles, il commença en 1639 et ne finit qu’en 1653. On put croire un moment que c’en était fait, et que la couronne d’Espagne perdait la Catalogne, comme elle venait de perdre le Portugal, l’Artois et le Roussillon. Géographiquement la Catalogne n’était pas plus unie au reste de la péninsule que le Portugal, et elle n’en était guère moins distincte historiquement. Long-temps elle n’avait fait qu’un avec la Cerdagne et le Roussillon, et elle était encore indécise entre les tendances qui la poussaient vers la France et celles qui la poussaient vers l’Espagne. Ces dernières ont fini par l’emporter, comme plus naturelles, mais non sans résistance et sans déchiremens.

Considérée sous ce point de vue, l’insurrection de 1639 a plus d’importance qu’une insurrection ordinaire. Ce n’est pas seulement une population qui se soulève contre son gouvernement, c’est une nationalité qui se débat contre l’absorption. Les Catalans révoltés se donnèrent à la France ; Richelieu et Mazarin envoyèrent successivement des troupes à leur secours ; la maison d’Autriche et la maison de Bourbon se heurtèrent en Catalogne en même temps que sur beaucoup d’autres points. En voilà autant qu’il en fallait pour donner lieu à une grande histoire comme celle du soulèvement des Pays-Bas ou de la révolution du Portugal ; il n’y manquait que la consécration du succès. Malheureusement le livre de Melo est bien loin d’être la relation complète de cette insurrection. Des treize années que dura la guerre, il ne raconte que la première. Il s’arrête au moment où il quitta l’armée, c’est-à-dire au premier siége de Barcelone par le marquis de Los Veles, et n’écrit que ce qu’il a vu. À cette époque, l’affaire était loin de la gravité qu’elle prit depuis. Ce n’était encore qu’une querelle de prince à sujets ; les deux plus puissantes monarchies du monde ne s’étaient pas rencontrées sur ce champ de bataille ;