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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/334

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ritoire occupé par une population qui a droit à tout notre intérêt. La colonie de Madawaska, qui est établie sur les deux rives du Saint-Jean, est d’origine française. Elle est un des débris de l’Acadie, et elle est toujours restée sans interruption sous la domination successive de la France ou de l’Angleterre, c’est-à-dire sous l’empire d’institutions monarchiques. C’est un fait digne de remarque, que les Canadiens français se sont montrés, depuis leur changement de nationalité, les sujets les plus fidèles de la Grande-Bretagne. La colonie de Madawaska a toujours manifesté une répugnance prononcée à passer sous la domination américaine, et dernièrement encore elle avait adressé une pétition à la reine, pour protester contre tout règlement qui aurait pour effet de la dénationaliser. On peut aisément expliquer cet attachement des colons d’origine française à la domination britannique : il a sa source dans l’influence des traditions monarchiques qui se sont conservées intactes au sein de nos anciennes colonies, et qui se sont maintenues sans altération sous une souveraineté monarchique comme la nôtre. Il y a donc entre cette population et celle des états américains des antipathies profondes, antipathies d’origine, de mœurs, de langage, de religion.

Nous avons dit que la colonie de Madawaska s’étendait sur les deux rives du Saint-Jean. Prendre la rivière pour limite dans tout son cours, c’était couper la colonie en deux, diviser les intérêts, séparer les familles, rompre enfin une communauté paisible et heureuse. « Il y aurait de la dureté, disait lord Ashburton, je dirais même de la cruauté, à séparer en deux ce tranquille village… Placer sous des lois différentes ces colons industrieux, ce serait abandonner notre principal objet, qui est de consulter le bonheur des populations en fixant nos frontières… De nos jours, les vœux des peuples doivent être la première considération entre deux gouvernemens comme ceux de l’Angleterre et des États-Unis. »

Lord Ashburton proposait donc de réserver à l’Angleterre cette portion de la rive américaine du Saint-Jean, en offrant aux États-Unis une compensation d’un autre côté. M. Webster ne se montre pas de meilleure composition sur ce point que sur les autres. Les considérations un peu bucoliques de lord Ashburton sur la cruauté qu’il y aurait à troubler la paix de l’établissement contesté le trouvent insensible ; sa vanité nationale ne lui permet pas de croire qu’on puisse être si malheureux sous l’empire des institutions américaines, et il répond au plénipotentiaire anglais avec un sang-froid qui ressemble passablement à de l’ironie : « En résumé, milord, supposant qu’il y ait quelque inconvénient, ou même un peu de dureté, à séparer ces colons, je ne puis admettre qu’il y ait là en aucune façon de la cruauté. Dans l’état actuel de la société, et eu égard à la paix qui règne entre les deux nations, la séparation politique n’entraîne pas nécessairement la perturbation des relations sociales et domestiques. Votre proposition témoigne de sentimens pleins d’humanité, mais elle soulève des difficultés insurmontables. »

Lord Ashburton se résigne encore. Nous le voyons plus tard abandonnant le territoire exigé par les États-Unis. Cette concession a produit le plus mau-