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CORDOUE ET SÉVILLE.

gré la résistance de l’ayuntamiento, par le chapitre, sur un ordre surpris à l’empereur Charles-Quint, qui n’avait pas vu la mosquée. Il dit, l’ayant visitée quelques années plus tard : « Si j’avais su cela, je n’aurais jamais permis qu’on touchât à l’œuvre ancienne ; vous avez mis ce qui se voit partout à la place de ce qui ne se voyait nulle part. » Ces justes reproches firent baisser la tête au chapitre, mais le mal était fait. On admire dans le chœur une immense menuiserie sculptée en bois d’acajou massif et représentant des sujets de l’ancien Testament, œuvre de don Pedro Duque Cornejo, qui employa dix ans de sa vie à ce prodigieux travail, comme on peut le voir sur la tombe du pauvre artiste, couché sous une dalle à quelques pas de son œuvre. À propos de tombe, nous en avons remarqué une assez singulière, enclavée dans le mur ; elle était en forme de malle et fermée de trois cadenas. Comment le cadavre enfermé si soigneusement fera-t-il au jour du jugement dernier pour ouvrir les serrures de pierre de son cercueil, et comment en retrouvera-t-il les clés au milieu du désordre général ?

Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, l’ancien plafond d’Abdérame, en bois de cèdre et de mélèse, s’était conservé avec ses caissons, ses soffites, ses losanges, et toutes ses magnificences orientales ; on l’a remplacé par des voûtes et des demi-coupoles d’un goût médiocre. L’ancien dallage a disparu sous un pavé de brique qui a exhaussé le sol, noyé les fûts des piliers, et rendu plus sensible encore le défaut général de l’édifice, trop bas pour son étendue.

Toutes ces profanations n’empêchent pas la mosquée de Cordoue d’être encore un des plus merveilleux monumens du monde ; et, comme pour nous faire sentir plus amèrement les mutilations du reste, une portion, que l’on appelle le Mirah, a été conservée comme par miracle dans une intégrité scrupuleuse.

Le plafond de bois sculpté et doré avec sa media-naranja constellée d’étoiles, les fenêtres découpées et garnies de grillages qui tamisent doucement le jour, la galerie de colonnettes à trèfles, les plaques de mosaïque en verres de couleur, les versets du Koran en lettres de cristal doré qui serpentent à travers les ornemens et les arabesques les plus gracieusement compliqués, forment un ensemble d’une richesse, d’une beauté, d’une élégance féerique dont l’équivalent ne se rencontre que dans les Mille et une Nuits, et qui n’a rien à envier à aucun art. Jamais lignes ne furent mieux choisies, couleurs mieux combinées : les gothiques même, dans leurs plus fins caprices, dans