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nius, mais il s’agissait de Newton, de Condillac et de Locke ; les compas et les sphères avaient leur place dans les boudoirs, entre les pots de fard et les mouches. Alors les femmes étaient astronomes et philosophes. On causait à souper des travaux de Mme du Châtelet et du Traité des Sensations. À présent, les émotions qu’excitait chaque article de l’Encyclopédie ont passé comme l’enthousiasme qui accueillait les œuvres d’Arnaud ; on a relégué les philosophes dans leurs écoles et les astronomes dans leurs observatoires ; les seules questions qui s’agitent encore, en attendant qu’elles entrent à leur tour dans le néant, sont les questions politiques. Dieu merci, les femmes ont le bon goût de ne pas toucher à celles-là. Les femmes appartiennent donc tout entières de nos jours à ceux qui composent des récits romanesques. La lecture des romans n’est plus pour elles, comme autrefois pour Mme de Sévigné, un plaisir qu’on goûte à la dérobée et en composant avec soi-même ; c’est leur lecture habituelle et hautement avouée. À ce charmant public, le vrai public des historiens du cœur, se joint plus que jamais un autre auditoire, fait aussi pour comprendre les romanciers, la jeunesse. Quand les journaux contenaient chaque matin un fragment d’épopée, quand des premiers Paris, commençant comme des chants d’Homère, racontaient la prise d’un étendard ou redisaient les dernières paroles d’un héros, qui se serait inquiété, parmi les lecteurs de vingt ans, d’un obscur récit de souffrances imaginaires enfoui sous des colonnes toutes remplies d’exploits glorieux ? Aujourd’hui la jeunesse n’a plus de ces distractions puissantes ; il ne se joue pas au dehors des scènes qui puissent rivaliser de grandeur et d’intérêt passionné avec les scènes éternelles qui se jouent au fond des ames. C’est à ceux qui reproduisent dans leurs innombrables péripéties les drames ensevelis sous toutes les poitrines, que se livrent les jeunes imaginations. Cherchons donc à savoir comment des écrivains que tant d’attention environne, au-devant desquels s’élancent tant de sympathies, se conduisent envers leurs lecteurs et envers eux-mêmes.

Il est des égaremens presque légitimes dans les premières années de la vie littéraire, non pas ceux qui tiennent à la conscience, je ne sais point une condition humaine où la jeunesse puisse servir d’excuse à une lâcheté, mais ceux qui tiennent à l’essor impétueux et naturel des rêves de l’ambition. Pour aborder la carrière de l’écrivain, il faut sentir en soi une force de passion capable de dompter tous les obstacles et de braver tous les dégoûts ; doit-on s’étonner si cette force, avant d’être contenue et dirigée par l’expérience, jette ceux qui en