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il fut presque immédiatement suivi. L’auteur d’Eugénie Grandet reparut tout entier dans la peinture de la maison Claës. Que de fois, en contemplant les tableaux de Gaspard Netscher et de Gérard Dow, n’avons-nous point désiré de pénétrer dans un de ces intérieurs aux vastes cheminées remplies d’une lueur rouge, aux dalles luisantes et aux murs tapissés de tentures à rosaces ! Quel bonheur si l’on pouvait toucher les porcelaines qui couvrent ce bahut en bois de chêne, et surtout pousser cette porte vitrée qui doit s’ouvrir sur quelque chambre curieuse ! Eh bien ! les rêves que nous avons tous faits dans un coin de la galerie du Louvre, M. de Balzac les accomplit ; il nous ouvre l’une après l’autre toutes les pièces d’une maison flamande ; nous pouvons regarder de près les moindres sculptures des corniches, les moindres dessins des tapisseries ; nous pouvons examiner derrière les flammes la sombre plaque du foyer ; rien ne nous empêche enfin d’aller coller nos yeux aux vitres de la première fenêtre qui s’offre à nous, et de plonger ainsi dans quelque cour hollandaise éblouissante de propreté. Après la Recherche de l’absolu, M. de Balzac avait définitivement conquis sa place dans la littérature contemporaine. Voici, je crois, en résumant les impressions que fait ressentir chacun de ces ouvrages, ce qu’on pouvait dire de lui en 1834 — M. de Balzac n’est ni un poète ni un penseur, parce qu’il ne possède pas l’ensemble des qualités nécessaires au poète et au penseur ; mais il a reçu au plus haut degré un don sans lequel on n’écrit ni livre de morale ni livre de poésie, le génie de l’observation. S’il lui manque ces impétueux élans du cœur qui font écrire la Nouvelle Héloïse et ce jet rapide de l’esprit qui fait écrire Micromégas, il a cette rêverie patiente qui soutient pendant le cours de douze volumes l’auteur de Clarisse et de Grandisson. Ses songeries sont celles qu’on a sur la fin d’un long repas, entre des verres à demi remplis, tandis qu’on écoute, sans chercher à la comprendre, quelque conversation verbeuse ; ne lui demandez pas ce qu’on rêve le soir, au bord de l’eau ou sur la lisière des bois. Le jour où il jouira de toute sa verve, il pourra tracer des figures comme en dessinaient Jacques Jordaens et Gérard Honthorts. Il peindra une famille en goguette sans oublier le chien qui mord la nappe et l’enfant à demi nu qui joue au milieu des plats. Le caractère de son talent est d’être sensuel, et d’une sensualité bourgeoise. S’il accepte franchement ce caractère, peut-être lui devrons-nous quelques pages qui exhaleront une bonne odeur rabelaisienne. Malheureusement, au lieu d’être contemporain de Nicolas Rapin et de Passerat, il est contemporain