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FEU BRESSIER.

reproches un sérieux involontaire… je l’accusai presque de vouloir corrompre cette jeune fille.

— Des fleurs ? me dit-il froidement ; bon Dieu ! j’en donne à tout le monde ; il n’y a rien d’aussi innocent que mes bouquets.

« De ce jour, il cessa de m’en envoyer ; peut-être aussi, de mon côté, n’y tins-je plus autant.

« Il me semblait qu’il avait voulu punir et abattre ma présomption. Aussi, pendant quelque temps, si je n’évitai pas tout-à-fait de le voir, toujours me trouvai-je embarrassée de sa présence. Je ne comprenais plus comment j’avais laissé échapper ces imprudentes paroles au sujet de ses fleurs. Depuis long-temps, du reste, je m’apercevais bien que, devant lui, ma présence d’esprit m’abandonnait entièrement, et que je n’étais rien, je ne disais rien de ce que je voulais être et de ce que je voulais dire.

« J’interprétais ses moindres actions, ses gestes les plus involontaires ; s’il arrivait que je le rencontrasse dans la rue, j’espérais qu’il m’avait épiée ; s’il fredonnait un air quelconque, le soir, dans son jardin, je cherchais un rapport entre les paroles de cet air et notre situation à lui et à moi. S’il s’asseyait pour lire dans tel ou tel coin du jardin, je pensais qu’il n’avait choisi cette place que parce que de là il pouvait me voir ou être aperçu de moi.

« Je ne pensais pas que, la veille, il s’était placé ailleurs ; je ne cherchais pas si l’ombre et le soleil n’étaient pas les vraies causes de sa détermination, j’aimais trop à rapporter à moi tout ce qu’il faisait.

« Un jour, je le vis arrêter ma femme de chambre dans la rue, et lui parler quelques instans ; j’espérai et je craignis à la fois : s’informait-il de quelque chose qui pût lui servir à me rencontrer ? La chargeait-il d’une lettre ? Le sentiment qui domina alors chez moi fut celui de la crainte et de la dignité blessée ; il me répugnait extrêmement de voir cette fille dans ma confidence. Mais quand je vis que ce colloque n’amenait aucun résultat, quand je ne le rencontrai pas, quand je ne reçus pas de lettre, je regrettai amèrement qu’il n’eût pas fait ce que j’avais redouté et trouvé mauvais.

« J’avais presque chaque jour une foule de petits bonheurs à son insu : j’assistais à tous les détails de sa vie, je traduisais tous les bruits qui partaient de chez lui ; je connaissais non-seulement tous ses amis, mais aussi toutes les personnes qui le venaient voir d’habitude ; une multitude de petites remarques m’avaient appris ceux qu’il aimait le plus. J’étais contente en même temps que lui quand je les voyais arriver.