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REVUE DES DEUX MONDES.

— Et lui as-tu dit de partir ?

— Non. Je prendrai un autre prétexte ; je ne veux pas lui donner plus long-temps occasion de me parler de ses amours, cela me dégoûte.

— Quel prétexte prendras-tu ?

— Elle ne tardera pas à m’en fournir ; elle a toutes sortes de défauts, je n’aurai qu’à choisir.

— Ah !

« Cet ah de ma mère me fit rentrer en moi-même ; en effet, je pensais que la veille je lui avais fait un pompeux éloge de Célestine. Je parlai d’autre chose.

« Me voilà seule avec vous, et je vous écris. Vous voyez, ma pauvre amie, à quel degré d’humiliation je suis réduite. Il faut que je détermine ma mère à faire un voyage, malgré la saison qui est bien avancée ; il y a une sœur à elle qui est malade à Reims, je vais parler à ma mère d’aller passer un mois auprès d’elle. Une fois là, je verrai à prolonger le séjour ; j’espère que le temps et ma dignité justement offensée me guériront de mon indigne amour. Il y a des momens où je me crois guérie, et où j’ai presque envie de rester et d’affronter la présence de Fernand ; mais qui sait si ce n’est pas une ruse que l’amour emploie contre moi ?

« Adieu, je ne sais si je ne suis pas plus honteuse que triste et indignée. »

XXXV.

Voici, du reste, comment Célestine fut chassée.

Le jour même, elle laissa tomber une tasse qui valait bien huit sous. On l’appela maladroite ; on lui dit qu’elle cassait tout dans la maison. Elle répondit humblement que depuis bientôt deux ans elle n’avait jamais cassé que cette tasse. On la trouva audacieuse de répondre ; on lui dit que, si on faisait attention à son ouvrage, cela n’arriverait pas ; qu’elle n’avait cassé la tasse que parce que, selon son habitude, elle avait tourné la tête pour se regarder dans une glace ; qu’elle ne pensait qu’à se regarder ; qu’on n’avait pas besoin d’une servante qui n’avait d’autre soin que celui de sa sotte personne.

Le lendemain, c’était un dimanche et le jour de sortie de Célestine. On la trouva habillée trop en demoiselle ; on lui fit ôter une sorte de bonnet orné de rubans d’assez mauvais goût, et on l’obligea d’en