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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/434

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REVUE DES DEUX MONDES.

Venez ce soir à neuf heures, pas avant, car à ce moment seulement je suis sûr d’être seul ; pas après, car il se fera dans la maison un mouvement qui vous exposerait à être remarquée. Mon ange chéri, ne me refusez pas.

— Voilà, mes chers frères, voilà, mes bons amis, la lettre que j’ai trouvée, et sa femme a annoncé à dîner que sa mère est malade et qu’elle ira la voir ce soir. Elle est soucieuse et tourmentée. Je n’ai pas besoin de vous dire mon embarras. Notre frère ne reviendra pas avant deux semaines.

— Mais, dit l’un des frères, il paraît qu’il n’y a pas grand mal : il n’est question que de refus, de respects, etc.

— Oui, dit l’autre, jusqu’ici ; mais l’attendrissement des adieux, la douleur de la séparation, peuvent mener loin.

Pour celui qui avait parlé le premier, il ne parla plus, et ralluma sa pipe, qui était éteinte.

— Oh ! si notre frère était ici, il en tirerait une vengeance éclatante ; il suivrait l’infidèle et l’immolerait avec son amant à sa juste colère.

— Ceci serait bien, dit le second frère, si la chose se pouvait faire sans bruit et sans scandale ; mais l’opinion attache aux fautes de la femme du déshonneur, et, ce qui n’est pas moindre, du ridicule pour le mari. Il faut donc éviter de donner de la publicité à notre malheur.

— Si je lui parlais, dit le premier frère ; si je lui disais que je sais tout, si je l’accablais de reproches et de mépris ?

— Vous auriez tort, reprit le second frère. Peut-être n’a-t-elle plus pour frein que la peur de perdre l’estime. Il ne faut pas l’en débarrasser.

— Lucrèce l’a dit, ajouta le premier frère : Il y a toujours quelque amertume mêlée aux joies humaines :

Medio de fonte leporum
Surgit amari aliquid
.

— C’est ce que dit aussi un auteur grec, dit le second frère, jaloux de l’érudition du premier :

Πωλοῦσιν ἡμῖν πάντα τ’ἀγαθ’ οἱ θεοί.

— Ce que La Fontaine a si bien traduit dans ces beaux vers, reprit le premier :