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FEU BRESSIER.

Les Microbourgeois, de leur côté, disaient : Ces pauvres Nihilbourgeois sont vraiment les plus honnêtes gens du monde. C’est plaisir de leur donner des femmes à garder. Et ils riaient de leur air le plus malin.

Cependant, si chacun, habitant de Nihilbourg ou de Microbourg, se croyait particulièrement favorisé du ciel, et ajoutait une foi entière aux récits de sa femme sur les égards respectueux dont elle avait été l’objet, chacun, en même temps, ne laissait pas de rire tout bas de la crédulité de ses voisins, qui croyaient bonnement que les ennemis avaient respecté leurs femmes captives.

Mais, au milieu de tout cela, le prince Céderic CXXVII était le plus malheureux des hommes. Le duc Ernest était un adroit politique et un diplomate astucieux. C’était lui qui avait fait mettre dans le traité d’échange l’ordre d’après lequel devaient s’opérer les restitutions mutuelles. En sa qualité de célibataire, il avait opiné que ce que chacun avait de plus précieux, c’était sa femme. Or, le jeune duc, par suite de sa position, ne connaissait que les femmes des autres, et c’est, en effet, au dire des connaisseurs, quelque chose de bien charmant que la femme d’un autre.

Partant de ce principe, que par respect humain les gens mariés n’avaient osé nier, que ce que chacun avait perdu de plus précieux dans le pillage était sa femme, par une conséquence logique, le duc avait fait admettre que ce serait la dernière chose qu’on restituerait de côté et d’autre, parce que ce serait pour chacun une garantie et un gage de la fidélité qui serait apportée dans les restitutions préalables d’argent, de meubles et de bestiaux. Malheureusement, les grandes choses n’ont été inventées que pour cacher les petites, et, sous les raisons politiques mises en avant par le duc Ernest, l’observateur philosophe est forcé de chercher et de trouver quelque intérêt purement personnel.

Le duc Ernest n’avait pu rester insensible aux charmes de la princesse Frédérique, qui était une des plus belles personnes qu’il fût possible de voir. Il l’avait d’abord traitée avec les égards les plus exquis, il n’avait pas caché l’impression qu’il ressentait, mais il avait montré qu’il ne voulait rien devoir au malheur de la princesse ; que dans leur situation réciproque, lui avec son sabre, elle avec sa beauté, c’était lui qui était vaincu, et il se comportait comme s’il le pensait réellement : c’étaient des soumissions et des respects inouis, c’était une adoration extatique, un amour d’autant plus humble et timide, que l’objet qui l’inspirait pouvait se croire dans la puissance du vain-