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Pour remédier aux défauts géographiques de sa position, les puissances ont décidé que la Belgique serait un état perpétuellement neutre. Politiquement, cette neutralité n’est pas une sauvegarde, et ne dispense pas les Belges, comme on voit, d’entretenir une armée. Au premier conflit qui éclatera en Europe, le territoire compris entre la Meuse et l’Escaut sera nécessairement envahi ; car en cinq ou six marches une armée ennemie peut le traverser. On ne respectera pas plus la Belgique que l’on n’a respecté la Suisse en 1815, et il restera prouvé que c’est une prétention insensée que celle de vouloir régler par des conventions diplomatiques ce qui se pratiquera dans l’état de guerre, dans un régime d’exception qui met la force à la place du droit, et qui a précisément pour effet de suspendre le cours des traités.

La situation de la Belgique n’est pas moins difficile sous le rapport commercial. Placée entre les trois grands centres industriels de l’Angleterre, de la France et de l’Allemagne, si elle veut s’isoler des uns et des autres, il faut qu’elle lutte contre tous les trois par un effort gigantesque, ou qu’elle se résigne à être le champ de bataille où leurs produits viendront se rencontrer. Pour la Belgique réduite à ses propres forces, il n’y a pas d’autre alternative : elle doit être une serre-chaude industrielle ou un entrepôt ; choisir entre les systèmes également absolus de la prohibition ou de la liberté.

Il y a déjà douze ans que la Belgique oscille entre ces deux systèmes, et les essais qu’elle a faits pour élargir son isolement n’ont abouti qu’à démontrer qu’elle s’agitait dans un état contre nature, dont il lui importait de sortir à tout prix. Il demeure évident que la Belgique ne peut pas vivre comme la Hollande, comme les villes anséatiques ni comme la Suisse : car la Hollande a une marine, des colonies et un commerce étendu qui est l’héritage de son ancienne splendeur ; derrière les villes anséatiques est l’Allemagne, qui leur ouvre d’immenses débouchés ; quant à la Suisse, c’est encore moins un entrepôt de marchandises qu’un carrefour ouvert aux voyageurs de tous les pays. Mais vouloir allier l’activité du commerce avec le mouvement de l’industrie, quand on n’a ni marine, ni colonies, ni débouchés naturels sur le continent, c’était se proposer un problème vraiment insoluble ; de là, le malaise, le découragement dans lequel la Belgique est tombée.

De 1833 à 1842, le travail et la richesse n’ont pas cessé d’être en progrès dans les provinces belges. Le mouvement des importations et des exportations réunies s’est élevé de 300 millions de francs à 364 millions, soit d’un cinquième en huit ans, et cependant les embarras du pays restent les mêmes. Les cris de détresse s’élèvent de toutes les provinces. « Je demanderai, dit un député, M. Deschamps, quelle est l’industrie, excepté celle de l’agriculture, qui soit encore debout. » — « Le pays souffre, ajoute M. Dedecker, non depuis quelques mois, mais depuis des années ; il faut qu’il y ait à ces souffrances des causes radicales et permanentes. »

C’est afin de découvrir et de constater ces causes, que la chambre des représentans ordonna une enquête parlementaire en 1840. Dans l’opinion de ceux qui l’avaient proposée, le mal venait, non pas de ce que la Belgique se trou-