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rage. Jusqu’aux derniers évènemens, ils ne s’étaient pourtant guère manifestés que par quelques désordres partiels, et par la pétition monstrueuse que M. T. Duncombe se chargea, le 2 mai dernier, de présenter au parlement. Cette pétition, revêtue de trois millions de signatures et portée sur un char, arriva aux portes de la chambre des communes, escortée par une procession de vingt mille personnes, avec drapeaux et musique. Puis, deux jours après, M. Duncombe soutenu par MM. Leader, Bowring, Fielden, Easthope, Hume, Wakley, O’Connell, demanda qu’elle fût prise en considération, et que les pétitionnaires fussent admis à la barre. M. Roebuck aussi appuya la pétition, mais en qualifiant de « démagogue bas, vain et lâche » le chef des chartistes, M. Fergus O’Connor, qui, placé dans la galerie, reçut le compliment à bout portant. Sir Robert Peel et lord John Russell, sir James Graham et M. Macaulay combattirent au contraire la pétition et la firent rejeter par 287 voix contre 49. Ce n’en était pas moins pour les chartistes un succès que d’avoir réuni tant de signatures, et occupé deux jours le parlement.

J’ai déjà dit un mot de la part que les chartistes prirent aux derniers troubles, mais sans en déterminer l’étendue. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils voulurent profiter de l’occasion, et qu’au plus fort de l’insurrection, ils publièrent, au nom de leur conseil exécutif, une adresse dont chaque ligne respire la sédition. « Frères, est-il dit dans cette adresse, les grandes vérités politiques qui sont agitées depuis cinquante ans ont enfin tiré de leur torpeur les esclaves blancs de l’Angleterre, ces esclaves insultés et dégradés, et leur ont rendu le sentiment de leurs devoirs envers eux-mêmes, envers leurs enfans, envers leur pays. Des dizaines de milliers d’hommes ont jeté leurs instrumens de travail. Vos maîtres tremblent devant votre énergie, et les masses dans l’attente surveillent avec anxiété cette grande crise de votre cause. Le travail ne doit plus être la proie des maîtres et des despotes. » Suit un long morceau sur les droits du travail, et les mérites de la charte qui doit guérir tous les maux. Puis l’adresse reprend : C’est pourquoi nous avons tous juré solennellement que l’heureuse occasion qui s’offre à nous ne sera point perdue, mais que nous ne nous remettrons au travail que le jour où les justes griefs des travailleurs auront cessé d’exister, le jour où la charte du peuple étendra sa protection puissante sur nous, sur nos femmes souffrantes, sur nos enfans désolés. Anglais, le sang de vos frères rougit les rues de Preston et de Blackburn, et les meurtriers ont soif d’en répandre encore… Soyons fermes, et ne prêtons point à