son parodiste et même sa caricature. Dans une gravure où le fameux Gillray avait donné une tête d’âne à Coleridge, Lamb se trouvait orné d’une tête de crapaud, et son ami Southey d’un occiput de grenouille. Le soir du jour où cette caricature avait paru, Godwin, grand écrivain doué par le ciel du talent de ne rien dire et de ne rien faire à propos, et qui ne paraissait guère dans un salon que pour y pratiquer les silencieuses combinaisons du whist, rencontra Lamb, avec lequel il entama une discussion assez vive. Godwin n’était pas de force à la soutenir ; les charmantes saillies de Lamb, ses étranges caprices, ses épigrammes fines et ses argumens cachés sous une ironie enfantine déconcertèrent bientôt le philosophe, qui s’écria d’un ton fort cynique : « Ah ça ! monsieur Lamb, êtes-vous crapaud ou grenouille ce soir ? — Je suis mouton (Lamb) et je vous tends les pattes, » répondit Lamb en souriant. Et ils restèrent fort bons amis.
Cette patience angélique, que je retrouve dans son style pur, ferme, concis, courageux, fut mise à l’épreuve par plus d’une barbarie et d’une amertume. Il faut lire le récit de sa jeunesse dans sa description de Christ-Hospital, et de ses jours de congé quand il était écolier. « J’en ai gardé, dit-il, la vive mémoire. Jamais les longs jours de l’été ne reviennent sans m’apporter ces tristes et ineffaçables souvenirs. J’en suis obsédé encore aujourd’hui. On nous mettait à la porte, tout bonnement, pour la commodité et l’agrément des maîtres, et nous pouvions faire ce qu’il nous plaisait de notre temps, que nous eussions ou non de l’argent dans nos poches, des amis, ou seulement la ville de Londres et ses rues désertes pour y courir. Je me rappelle mes excursions forcées et nos parties de natation dans le New-River, pendant que de plus heureux allaient trouver le toit paternel et s’asseoir à la table de la famille. Gais comme des hirondelles, nous nous envolions à travers la campagne et nous mettions habit bas sous la première ardeur du soleil ; puis c’étaient des jeux sans fin et des ébattemens de jeunes truites dans le courant des eaux fraîches. Nous gagnions de l’appétit, hélas ! un appétit fort inutile ; la plupart d’entre nous étaient aussi légers d’argent que possible, et notre morceau de pain matinal ne pouvait pas nous mener loin. Les bœufs dans la prairie, les oiseaux dans le ciel et les poissons dans l’eau, trouvaient leur pâture accoutumée. Pour nous qui n’avions rien, la beauté même du jour, l’exercice, le sentiment de la liberté, aiguisaient encore cette faim terrible et déplacée. Oh ! quelle langueur et quel épuisement, lorsque, la nuit tombée, nous revenions trouver le souper