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REVUE. — CHRONIQUE.

au lieu de l’expier. Elle a fait du demi-vers : Qu’il est lent à mourir ! une exclamation dont le souvenir sera conservé par les fastes tragiques, et dans laquelle se résumera un jour la Frédégonde de Lemercier comme le Manlius de Lafosse se résume dans le Qu’en dis-tu ? de Talma.

En somme, je crois que Frédégonde, malgré les anathèmes dont l’a frappée une partie de la presse, excitera la curiosité. Dans les questions d’art comme dans toutes les autres, le public commence à prendre l’habitude de vouloir juger par lui-même. Tout le monde désirera voir dans la scène entre Frédégonde et Brunehaut la contre-partie de la scène entre Élisabeth et Marie Stuart. Et puis, il faut le dire, il s’attache à cette pièce un genre d’intérêt qui est certainement de nature à entraîner la foule. Dans l’étrange et splendide costume qu’elle s’est choisi, Mlle Rachel est d’une beauté merveilleuse et toute différente de la beauté qu’on est habitué à lui voir. Jusqu’à présent elle nous avait fait songer surtout aux bas-reliefs du Parthénon ; maintenant elle nous rappelle les sveltes et élégantes statues que renferment les profondeurs de nos cathédrales. Sa taille flexible et jeune, qui d’ordinaire se laisse seulement deviner sous les plis ondoyans de la tunique grecque, nous découvre ses incroyables délicatesses de mouvement et de contours, sous le corsage long et serré des reines du moyen-âge. On a renouvelé contre Mlle Rachel la vieille querelle qu’on lui avait faite déjà à l’occasion de Bajazet. Des gens que leur système conduirait à vouloir un homme de six pieds pour représenter Napoléon sur la scène, si Napoléon avait vécu il y a deux mille ans, ont accusé Mlle Rachel de ne pas être assez grande pour jouer le rôle de la terrible reine de Neustrie. Je ne vois pas ce que la grandeur des vertus et des crimes a de commun avec les dimensions de la taille. Ce qui est certain, c’est que Frédégonde, telle qu’elle est représentée par Mlle Rachel, fait comprendre les terreurs de Mérovée et l’amour de Chilpéric. Je ne sais point ce qu’on peut exiger de plus.

Il serait injuste, pendant que nous parlons des causes qui doivent soutenir Frédégonde et Brunehaut, d’oublier la manière dont Beauvallet a compris le caractère de Mérovée. Beauvallet a produit dans Polyeucte et dans le Cid de grands effets dramatiques. Il a du feu, de la dignité et une singulière habileté à saisir le côté pittoresque d’un rôle. Par la science de son costume et l’intelligence de son jeu, il a su donner un cachet original à la figure du fils de Chilpéric. On a bien sous les yeux un de ces Francs qu’a ressuscités Augustin Thierry, un de ces fondateurs guerriers de notre noblesse, chez lesquels le caractère chevaleresque commence à poindre sous les mœurs barbares. Il y a une scène dans Frédégonde et Brunehaut où l’on vient arrêter le fils de Chilpéric au nom de son père : Beauvallet jette alors sur l’épée dont il se sépare un regard d’adieu plein d’une héroïque tristesse. Je choisis cet exemple au milieu de bien d’autres traits que je pourrais également citer pour montrer avec quel heureux soin dans les détails l’artiste a su composer le personnage qu’il représente. Au reste, tous les acteurs ont fait de louables