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La mer s’arrête là ; les grands bâtimens à voile ne vont pas plus loin. Sur la colline s’élève le village de Backsholm, habité par des marchands, des aubergistes, des ouvriers, et dont les maisons, peintes en rouge, bâties en amphithéâtre, présentent de loin un joli aspect. À l’embouchure du fleuve est le château ; plus loin, on aperçoit les coteaux chauves qui ceignent une partie de la ville, la tour élégante qui servait autrefois d’observatoire, et quelques cabanes de pêcheur. On entre dans le bassin du fleuve, et peu à peu on distingue une double rangée de maisons spacieuses, revêtues de couches de plâtre de différentes couleurs ; dans le fond, une large tour en briques : c’est la ville, c’est la cathédrale d’Abo. À gauche s’élèvent deux grandes casernes ; à droite, de riantes habitations entourées de jardins. Nous jetons l’ancre auprès d’un pont qui traverse le fleuve. Les droschkis accourent à notre rencontre ; les soldats russes avec leurs longues redingotes d’hiver, les officiers avec leurs larges épaulettes, et une foule d’oisifs sont rangés sur le rivage ; les douaniers et les officiers de police arrivent à bord. On m’avait fait grand’peur des uns et des autres : je les ai trouvés d’une politesse extrême. Un voyageur m’avait aussi tracé une sombre peinture des hôtels d’Abo. Je suis entré dans une grande et belle auberge fort propre, inondée seulement dès les premiers jours de l’été d’une quantité de commis voyageurs hollandais, belges, allemands, anglais, dont l’idiome mercantile, entremêlé de chiffres, de locutions de banque, et vibrant impérieusement d’un bout de la table à l’autre, est bien le plus effroyable jargon qui ait jamais existé dans le monde. La Finlande a encore une assez grande quantité de produits territoriaux pour lesquels elle manque de débouchés et n’a point de fabriques. Les spéculateurs se jettent là avec avidité, comme des vautours sur une proie inerte. C’est une terre nouvelle découverte par le génie du commerce, c’est la forêt vierge des escompteurs et des courtiers. Malheur au pauvre étranger qui vient là tout simplement avec quelques idées d’étude et qui tombe dans un des hôtels hantés par cette tourbe vorace ! il n’entendra parler que de marcs banco et de frédérics d’or ; il n’apprendra que les exploits de tel héros de comptoir qui est parti avec une commission de plusieurs milliers d’écus, de tel marchand qui a placé en quelques jours une cargaison de draps ou de quincaillerie. Et comme ces fiers industriels régissent la maison, gouvernent les servantes, celui qui arrive parmi eux avec son innocente mission d’écrivain est bien sûr d’être relégué dans la chambre la plus obscure, et d’avoir la dernière place à table.

Dès que notre frugal dîner finlandais fut achevé, je me hâtai de sortir pour échapper au cercle d’agioteurs qui continuaient à crier et à glapir le cours des différentes bourses de l’Europe sur tous les tons de la gamme. Par bonheur, je fis connaissance avec quelques personnes qui eurent la bonté de me montrer et de m’expliquer ce qu’il y avait pour moi de plus intéressant à voir à Abo.

Cette ville est la cité la plus ancienne et la plus renommée de la Finlande, Son origine remonte jusqu’à l’époque où le christianisme fut introduit dans