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nier débris d’un autre temps, elle s’incline timidement devant les hautes maisons en pierre qui l’entourent, elle se cache comme un pauvre honteux de son obscur vêtement au milieu de ses riches voisins.

Tout ce qui donne à une cité un caractère d’autorité et d’agrément, tout ce qui instruit et tout ce qui plaît, tout ce qui régit les habitans d’un pays et attire les étrangers, tout a été en peu de temps réuni dans cette ville par le seul signe d’un sceptre puissant : grande cour judiciaire et sénat, université et caserne, observatoire et maison de bains, parcs et promenades. L’aspect de Helsingfors offre du reste à chaque pas l’empreinte du vaste empire auquel la Finlande a été réunie et de la grande ville où résident ses maîtres souverains ; la physionomie nationale, si marquée encore dans quelques autres villes du pays, si forte et si vivace dans les provinces de Savolax et de la Carélie, s’efface ici peu à peu sous l’influence des mœurs et de l’autorité russe. Déjà les droschkis russes sillonnent les rues, les cochers finlandais prennent la longue redingote, la ceinture et le chapeau évasé des cochers russes. Les enseignes des marchands et des artisans sont peintes comme à Pétersbourg, le nom de celui qui les fait placarder à sa porte est suédois, le titre de sa profession est écrit en russe. Des soldats russes paradent sur la place, au son des clairons et des trompettes. Helsingfors a six mille hommes de garnison dans son enceinte et six mille dans sa forteresse : c’est plus qu’il n’en faut pour donner à une ville de seize mille ames une apparence toute militaire. Les fonctionnaires de Helsingfors font de fréquens voyages en Russie, et chaque année un assez grand nombre de familles russes viennent ici passer une partie de l’été et y apportent leurs usages. Le luxe aristocratique de Saint-Pétersbourg pénètre peu à peu à Helsingfors ; la capitale de la Finlande dévie de la simplicité traditionnelle des anciennes mœurs finlandaises. On se plaint de la cherté toujours croissante des denrées, et l’on continue à s’abandonner au torrent. Les nobles, les hauts fonctionnaires, donnent l’exemple, et la bourgeoisie les suit pas à pas, comme cela arrive partout. Les salons de l’aristocratie de Helsingfors sont aussi élégans que les plus beaux salons de Paris, et la société qui les fréquente, finlandaise de cœur, russe par circonstance, française par l’esprit et les manières, présente à l’étranger un curieux assemblage d’idées, de sympathies, de traditions anciennes, d’espérances nouvelles et de langues diverses. Dans la même soirée, on entendra raconter les contes populaires des bords du Tornéo, les anecdotes de la cour impériale et les dernières nouvelles de la France ; on vantera tour à tour un chant de M. de Lamartine, une ballade naïve de Finlande, les vers suédois de Tegner, ou les élégies russes de Mme la comtesse Rostopschin. Un officier arrivant d’une garnison lointaine parlera de l’aspect de la Sibérie ou des peuplades sauvages du Caucase ; une femme dira le voyage qu’elle a fait récemment en Italie ; une autre décrira avec enthousiasme les rives de la Néva, et tout ce mélange de faits, d’analyses, de récits cosmopolites, a vraiment un grand charme. Je ne connais qu’une seule question qu’on aborde difficilement dans ces causeries si vives et si diaprées, c’est la question politique, soit que les belles