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GOETHE ET LA COMTESSE STOLBERG.

n’ignore pas à quel point lui répugnaient les professions de foi de toute espèce, s’étonnera de la déférence, je dirai presque de la grace avec laquelle il accepte la discussion. Évidemment un prêtre n’en eût jamais tant obtenu, et nous devons voir là un des miracles qu’il attribue quelque part à ce don de faiblesse divine dont le mysticisme fait honneur aux femmes. Cependant, on l’aura remarqué, la politesse n’exclut pas les réserves, et si d’un côté il veut bien imposer silence, en faveur des circonstances, à l’esprit de révolte, à ces rumeurs prométhéennes qui grondent en lui chaque fois que la question métaphysique est agitée, de l’autre il n’accorde rien. Point de réticence, point de sarcasme ni de blasphème, mais aussi point de concession. Sa lettre est un chef-d’œuvre de diplomatie et de goût, et le dernier trait, espérons qu’il nous sera donné de nous voir enfin là-bas, en ramenant par une allusion ingénieuse le ton de la plaisanterie en si grave sujet, éloigne adroitement toute prétention au dogmatisme, et laisse aux choses je ne sais quoi de superficiel qui maintient les positions respectives sans que les plus rigoureuses bienséances en aient à souffrir. Du reste, la lettre si touchante et si vraie de la comtesse ne demandait pas moins. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que ce dialogue aux portes du tombeau a de la grandeur et de la solennité. C’est en finir dignement. Cette amitié tout intellectuelle, contractée au matin d’une jeunesse poétique et chaleureuse, qui s’assoupit un moment sur le midi, puis reparaît unie et calme au seuil de l’éternité, vous rappelle involontairement ces eaux vives et bondissantes qu’on perd de vue au sortir de leur source, pour les retrouver ensuite, fleuves puissans et généreux, au moment où la mer va les engloutir. Quel que soit le jugement qu’on porte de cette correspondance, on ne saurait assister sans être ému à la crise suprême qui la dénoue. Je mets ici à part toute question d’opinion religieuse, et prétends n’envisager que la grandeur morale des personnes ; assurément deux êtres capables de se retrouver et de se quitter ainsi n’avaient pas commencé de la veille à prendre la vie sous son côté sérieux, et de pareils exemples de tenue et de dignité humaines sont bons à reproduire au temps où nous vivons.


Henri Blaze.