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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/898

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et je serais fort embarrassé de tirer de son livre une conclusion précise et nette. Qu’il me soit permis pourtant d’exprimer rapidement l’idée que je me fais de ses pensées et de ses sentimens, et je dirais même volontiers de son caractère.

J’ai toujours pensé que la guerre d’Afrique, en rapprochant l’un de l’autre l’esprit de l’Occident et l’esprit de l’Orient, aurait sur les hommes de notre temps qui prendraient part à cette guerre une influence particulière. L’esprit oriental est grave, calme et persévérant. Les imaginations en Orient sont vives et mobiles ; mais les caractères formés d’habitudes immémoriales y sont fermes et stables. Les qualités de l’esprit oriental étant précisément le contraire des défauts de l’esprit occidental, et surtout de l’esprit français, son voisinage et ses inspirations doivent nous servir. Pendant quelque temps encore, les deux génies opposés se choqueront plutôt qu’ils ne se toucheront ; mais les chocs même amènent et hâtent le mélange des choses. Peu à peu les deux esprits s’initieront l’un à l’autre.

Cette initiation a pour cause principale la nécessité ; toutefois, beaucoup de causes secondaires y concourent. De ces causes secondaires, je n’en mentionnerai que deux, l’une qui nous concerne tous en général, et l’autre qui concerne quelques hommes de notre siècle, et en particulier M. le général Duvivier.

La première cause est ce que j’appellerais volontiers le désenchantement de notre orgueil. Depuis le milieu du XVIIIe siècle jusque vers 1814, l’esprit français croyait sincèrement à son infaillibilité ; il avait foi en lui-même. Nous ne doutions pas de l’efficacité de nos principes de morale et de politique pour faire le bonheur des nations. Sous l’empire même, enivrés par nos succès, nous nous sommes crus un instant infaillibles et invincibles. Nos malheurs militaires et nos désappointemens politiques nous ont corrigés. Nous nous sommes peu à peu persuadé que, pas plus que les autres siècles, pas plus que les autres peuples, nous n’avions trouvé la pierre philosophale. Cette défiance de nous-mêmes est un premier acheminement à l’estime et à l’imitation d’autrui. Comme beaucoup d’entre nous se sentent faibles et incertains, et qu’ils souffrent de leur incertitude, la fermeté et le calme du génie oriental doivent avoir sur nous plus de prise que jamais.

Aux hommes incertains, ajoutez les hommes qui aiment l’ordre et le commandement, comme le général Duvivier, et qui ne l’aiment pas par vanité et par gloriole, mais pour faire et pour créer quelque