Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/906

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
902
REVUE DES DEUX MONDES.

de sa prétendue décrépite. Hogarth veut-il, dans ce même tableau, railler en passant l’égoïsme et le peu de charité des assistans, il couvre le tronc des pauvres d’une toile d’araignée poudreuse et intacte. Sa Maison des Fous n’a sans doute ni la terrible énergie, ni l’aspect de sauvage désolation du tableau de l’Allemand Kaulbach, mais la composition du peintre anglais se fait remarquer par des nuances d’une délicatesse plus intime et d’une vérité plus frappante. Kaulbach n’eût jamais imaginé le regard du fou mélancolique, ni l’attitude des deux femmes folles, l’une par amour, l’autre par coquetterie.

Hogarth excellait également dans la satire burlesque, il lui conservait, comme dans ses autres compositions familières, cette intention de moralité qui manque trop souvent au genre. C’est ainsi que, dans son tableau des Comédiens ambulans, il ne s’est pas attaché seulement à rendre le côté plaisant du sujet ; il a voulu montrer aussi tout ce que la gaieté apparente et le luxe d’emprunt des comédiens cachaient de misère et de pauvreté réelle. La troupe est rassemblée dans une mauvaise grange. Non loin de la déesse de la nuit, représentée par une négresse faisant des reprises aux bas troués de Junon, qui trône dans une brouette, Flore, placée devant un miroir cassé, lisse sa chevelure avec un morceau de suif. Apollon se sert du bout de son arc pour décrocher de mauvaises chaussettes qui sèchent sur un nuage de carton, et qu’un amour ailé, grimpé sur une échelle, n’a pu atteindre. Dans un coin du tableau, l’aigle de Jupiter donne de la bouillie à son enfant, qui, à l’aspect de l’étrange costume de sa mère nourrice, est saisi de terreur et pousse des cris effroyables. Le poêlon à la bouillie est placé sur une couronne, près d’un vase de nuit, entre la mitre d’un pape et des chandelles fichées dans un morceau de glaise. Il faudrait des volumes pour analyser l’œuvre variée de ce moraliste si profond et si amusant. Quel malheur que ce singulier génie ait négligé la partie technique de son art, et n’ait pas su peindre comme un Teniers, un Terburg ou un Van-Ostade ! Nos plaisirs eussent été doublés.

Beaucoup de critiques, même chez les Anglais, montrent pour Flaxman un dédain que nous avons peine à comprendre. Ils affectent de ne voir en lui que le dessinateur des poteries de Wedgewood, et, comme statuaire, ils rabaissent son talent au second ordre : son plus grand mérite, disent-ils, est d’avoir précédé Canova. Ce mérite est rare sans doute, mais Flaxman, que Canova appréciait à sa juste valeur, tout en l’étouffant sous sa gloire et sa popularité, Flaxman a possédé certaines qualités qui manquèrent au statuaire italien. Il