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veau à la tête de son peuple, pour chasser les schwabi (les muets Germains) des côtes usurpées sur les Slaves.

Outre la Tsernoïevitja-Rieka, il y a au Tsernogore une autre rivière, la Tsernitsa, que l’on remonte en bateau jusqu’au village de Vibra, où se trouve un bazar très ancien. C’est sur ce point qu’éclata la première insurrection des rayas de la montagne contre les Turcs, qui venaient recueillir la dîme du blé de maïs, et prétendaient que les boisseaux de mesure étaient trop petits. Les rayas indignés brisèrent ces boisseaux sur la tête des Turcs, en s’écriant : Voilà comment les Tsernogortses mesureront désormais leurs dîmes. La température de ces vallées est si douce, que les anciens Slaves appelaient toute cette région Joupa, terre sans neige ou terre du soleil, et ses habitans avaient le titre de joupanes, seigneurs du Sud. Mais un chaud climat est souvent fatal. Plusieurs districts manquent de sources, et les femmes de certains villages sont forcées de marcher toute une journée pour se procurer en été l’eau nécessaire aux travaux du ménage. On voit au Tsernogore, comme en Arabie, des tribus se battre pour la possession d’une source. Sur plusieurs points, les pâtres sont réduits à conduire leurs troupeaux jusqu’aux hautes cimes, où la neige se conserve dans le creux des rochers ; en faisant fondre chaque jour une certaine quantité de cette neige, ils parviennent à désaltérer leurs bestiaux. Tandis que le pâtre allume ainsi du feu sur les glaciers, à quelques lieues au-dessous de lui l’olive, la figue, la grenade, croissent dans des vallées qui ne connaissent point l’hiver.

Le Tsernogore ne renferme ni villes ni forteresses ; à peine a-t-il des villages, car ce qu’on appelle de ce nom au Tsernogore n’est que le terrain souvent très variable occupé par une confrérie (bratstvo), c’est-à-dire la réunion des différens ménages composant une communauté dont tous les membres se regardent comme parens. Les Tsernogortses bâtissent le plus souvent en pierre, à l’opposé des Serbes danubiens, qui construisent leurs huttes en bois ou en planches. Loin d’éparpiller, comme les autres Serbes leurs demeures sur un grand espace, les Tsernogortses les groupent le plus possible sur des rocs escarpés, et ne laissent entre les maisons que la distance d’un étroit sentier. Ces maisons sont presque toutes garnies de meurtrières ; dans les koulas, tours avec un étage, le rez-de-chaussée sert pour abriter les bestiaux. La montagne Noire est riche en troupeaux de chèvres et de moutons ; mais les bœufs, et surtout les chevaux, y sont rares. Certaines vallées produisent un vin qui serait excellent