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Souvent c’est une naïve idylle comme dans ces vers :

« — Veux-tu devenir ma petite bien-aimée ? veux-tu être heureuse avec moi ?

— Quel bonheur peux-tu m’offrir ? Tes mains sont vides, ta poche est vide.

— Avec ces mains vides je t’emporterai à l’ombre des forêts, dans les plaines silencieuses, loin du monde et des regards, pour veiller tendrement sur toi.

— Quel est le lieu où nous irons ? quel est le sol où tu bâtiras notre demeure ?

— Il y a encore dans notre grande Suomie assez d’espace à habiter. Veux-tu venir dans les champs inhabités ? Veux-tu me suivre dans la forêt comme l’oiseau léger et joyeux ? Bientôt je t’aurai construit une demeure, où le vent te bercera, où je t’égaierai par mes chants. Je te ferai une maison d’arbres à fruits, un lit de sorbiers, et mes chansons te donneront de doux rêves. »

Mais les soucis et le besoin mettent bientôt fin à ces riantes inspirations :

« Il y a encore du grain dans la forêt, du foin dans la vallée, et moi j’ai encore les membres assez robustes, les bras assez forts pour labourer la terre et cueillir la moisson. »

C’est encore un dialogue qui peint un des anciens usages de la contrée. Un paysan veut marier sa fille ; un prétendant règle avec lui les conditions du mariage ; puis il va trouver celle qu’il désire épouser et lui dit qu’il a le consentement de ses parens, que tout est conclu. — Qu’as-tu donné pour m’avoir ? dit la jeune fille. — J’ai donné un cheval à ton père, une vache à ta mère, une paire de bœufs à ton frère, une brebis à ta sœur, une agrafe à ta belle-sœur. — C’est trop peu, s’écrie la fière jeune fille ; tu n’auras pas à ce prix une belle et brave femme. Et elle s’éloigne.

Bientôt la mélodie plaintive reprend son essor, les larmes suspendues recommencent à couler. Une jeune fille, séparée de son amant, ne peut plus chanter parce qu’il ne l’entend plus :

« Je ne chanterai pas dans ma douleur, je ne rirai pas dans mes angoisses. À quoi sert de chanter ? À quoi sert de rire ? Quand ma voix s’élèverait dans toutes les vallées, soupirerait au bord de tous les lacs, gémirait sur toutes les montagnes, et résonnerait dans toutes les forêts, mes soupirs seraient inutiles, mes plaintes seraient perdues.

« Ma voix n’arriverait pas à l’oreille de mon bien-aimé, mes gémissemens n’atteindraient pas son cœur. Le sapin, cependant, m’écoute, l’arbre m’appelle son enfant chéri, le lac son oiseau bleu, le bouleau son amour.

« Je ne regarde pas le sapin, je ne penche pas ma tête vers le lac, je ne présente pas mes lèvres à l’arbre, ni ma main au bouleau. Mais s’il revenait, celui que j’aime, alors quelle joie ! J’accourrais pencher ma tête sur la sienne, lui présenter mes lèvres et lui tendre ma main.

« Sa bouche est tendre comme le beurre fondant, ses lèvres douces comme le miel, sa barbe est comme de la rosée et son menton comme du velours ; le soleil brille dans ses yeux, la lune dans ses sourcils, les étoiles du ciel sur ses épaules.