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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

Troïtsa, les Tsernogortses se glissent par derrière pour lui couper la retraite, se répandent sur ses flancs, à l’abri des rochers, et l’enveloppent entièrement. Le héros, cerné, s’agite comme un lion ; enfin il forme un bataillon carré et redescend la montagne. Il arrivait à Vernets, quand une balle étendit sur l’herbe cet aigle terrible. Une autre balle atteint le knèze Chaliar, qui suivait les Français ; une troisième frappe le porte-étendard ; la terre ne le reçoit pas vivant. Cent grenadiers tombent en braves ; les autres rentrèrent dans Kataro, couverts de blessures et poursuivis par les rats de la montagne jusqu’au pied des remparts. À cette vue, les cinquante Français qui défendaient Troïtsa se rendirent, et les vainqueurs détruisirent ce fort, après en avoir enlevé les quatre canons verts, les beaux canons français, qui servirent à donner des salves joyeuses au vladika, quand il vint joindre son armée à celle du gouvernadour Vouk. »

Le bulletin officiel[1] sur la prise de Boudva et de Troïtsa ajoute quelques détails à ceux de la piesma. Il fixe au 11 septembre la conquête de Boudva, où cinquante-sept Français furent faits prisonniers, et au 12 du même mois l’assaut et la prise de Troïtsa, après une sortie inutile de la garnison de Kataro, qui fut rejetée dans la ville, laissant, outre ses morts, trente-six hommes aux mains des Tsernogortses ; mais ce bulletin avoue que le fort de Troïtsa, miné par les Français, sauta en l’air une heure après l’assaut des montagnards. Quant à Kataro, le général Gautier y soutint le siége plusieurs mois, et ne se rendit qu’en décembre aux Anglais. Ceux-ci, en vertu d’un traité passé avec le vladika, remirent Kataro aux Tsernogortses, qui firent de cette ville leur capitale. Au printemps de l’année suivante (1814), cette précieuse conquête leur échappa par la cession solennelle qu’en fit l’empereur Alexandre aux Autrichiens. Un ordre du césar de Vienne fit partir de Raguse le général Miloutinovitj chargé d’expulser le vladika des bouches de Kataro. Les chants populaires gardent sur ce triste évènement un morne silence ; en retour, les Serbes latins de Raguse ont composé de longues et moqueuses relations de la déroute du saint vladika et de l’évacuation de Kataro. Ils reconnaissent toutefois la bravoure avec laquelle les guerriers noirs défendirent cette place contre les Autrichiens de Miloutinovitj, en brûlant, avant de se retirer, jusqu’à leur dernière cartouche.

Revenu tristement dans sa montagne, le vladika Pierre soigna en paix les blessures de son peuple jusqu’en 1820, année où le cruel Dchelaloudin, visir de Bosnie, descendit la Moratcha avec une forte armée pour subjuguer les Tsernogortses. Ceux-ci l’attirèrent dans

  1. Grlitsa, tome {{rom-maj|IV}{e, 1838