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SITUATION FINANCIÈRE DE LA FRANCE.

surtout lorsque l’avenir est incertain, doit garder toute la liberté de ses mouvemens. De même qu’une armée n’est forte qu’avec une réserve d’hommes pour appui, ainsi un gouvernement n’a sa politique assurée que si des dettes à terme ne pèsent pas sur le trésor, s’il n’a pas sur les bras des entreprises de longue durée, et s’il garde une réserve en écus.

Nous avons une comptabilité dont on vante l’entente, et qui aligne les chiffres dans l’ordre le plus régulier. De quoi cela sert-il, si le désordre est dans les intelligences qui gouvernent, et si l’on ne sait se rendre compte ni de ce que l’on fait, ni de ce que l’on veut ? Nous entassons les entreprises sur les entreprises, et les dépenses sur les dépenses. Avec l’Algérie à coloniser, nous allons chercher encore de l’espace et des postes à occuper dans la mer Pacifique. Un demi-milliard est à peine voté pour les routes, les canaux et les places fortes, que le gouvernement engage les chambres dans un réseau de chemins de fer qui peut leur coûter un milliard tout entier. Nous marchons de déficit en déficit, en tenant admirablement nos livres. Le corps social est chez nous sain et vigoureux, mais il dissipe ses forces, et s’énerve par une dépense excessive de chaque jour. Nous agissons comme si la Providence ne devait jamais nous éprouver ; et quand vient le jour de l’épreuve, nous nous trouvons hors d’état de porter dignement un nom qui impose de si grands devoirs. Nous sommes perpétuellement placés entre la nécessité de faire un effort gigantesque ou de nous résigner à une lâcheté.

Le succès de la politique la mieux entendue dépend, plus qu’on ne croit, de l’ordre dans les finances. Les guerres de l’empire ont prouvé que la richesse, avec le temps, devait triompher de la force. L’Angleterre a vaincu Napoléon, grace à son industrie et à son commerce universel, qui lui donnaient le moyen d’acheter toutes les armées du continent. Aujourd’hui que le duel politique a changé d’acteurs et s’agite entre la Russie et l’Angleterre, quelle cause arrête la puissance d’expansion de l’empire russe dans cette lutte, si ce n’est le défaut d’argent ? Et que sert d’avoir six cent mille hommes sous les armes, quand on n’a pas 500 millions de revenus ?

La France pourrait avoir les plus belles finances de l’Europe, si l’abondance de ses ressources était égalée par l’habileté de son administration. Non-seulement notre revenu l’emporte sur celui de chacune des grandes puissances continentales, mais il égale, ou peu s’en faut, celui de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche réunies. La partie disponible de ce revenu, en dehors des charges de la dette