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tique, il a eu toute raison. Dans aucune autre de ses œuvres dramatiques, M. Hugo n’avait encore dirigé ses admirables facultés de manière à éveiller, comme dans celle-ci, les souvenirs de la scène grecque.

Le reproche le plus grave que me paraît mériter le nouveau drame porte sur une partie de l’art très importante à la scène, mais au fond pourtant secondaire, sur l’agencement de la fable. Il y a dans celle des Burgraves obscurité et complication. Dans une œuvre de la nature de celle-ci, où il existe une cause d’obscurité inévitable par suite de l’emploi du merveilleux, il est nécessaire d’apporter la plus grande clarté dans l’exposition des faits qui sont de l’ordre naturel. Dans les Burgraves, les récits du premier acte n’établissent pas assez nettement la position des personnages ; l’identité surtout du jeune Fosco et du vieux Job passe à peu près inaperçue, et l’incertitude qui en résulte fait planer sur plusieurs parties de la pièce comme une sorte de nuage qui affaiblit l’intérêt.

J’ai entendu plusieurs personnes, et j’avoue que je suis du nombre, regretter vivement que l’auteur n’ait pas trouvé le moyen de ramener dans la seconde moitié de l’ouvrage les teintes gracieuses et passionnées dont il a su tirer un si heureux parti dans la première moitié. Quand la fantaisie se fait la maîtresse et dispose souverainement du drame, ne devrait-elle pas en effet s’efforcer de nous donner de préférence des sensations agréables ? Il y avait d’ailleurs des raisons d’un autre ordre pour ne nous pas laisser trop oublier Regina. L’intérêt qui s’est porté d’abord si vivement sur elle passe ensuite (et c’est un inconvénient grave) exclusivement sur le vieux Job. Pendant toute la durée du dernier acte, les craintes sont pour le vieillard seul, et l’on ne songe plus guère au péril que court la jeune fille. En somme, les Burgraves sont une composition sévère et élevée, mais où l’on aimerait à trouver plus abondamment ce qui a fait tout pardonner à Hernani, c’est-à-dire plus de ces détails gracieux qui sont particulièrement nécessaires, suivant moi, aux pièces où la fantaisie domine. C’est en effet aux ouvrages de ce genre que semble surtout devoir s’appliquer le conseil de l’épître aux Pisons :

Non satis est pulchra esse poemata ; dulcia sunto.


Charles Magnin.