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une théorie que le parti libéral a toujours combattue, la théorie qui exige des conditions d’éligibilité, et qui ne s’en rapporte pas pour la capacité intellectuelle et morale du candidat au libre jugement de l’électeur. Npus concevons que certains faits aient pu irriter un grand nombre d’esprits et blesser profondément tous ceux qui ont à cœur la dignité de la chambre et les intérêts moraux du pays. Loin de nous la pensée d’atténuer la gravité de ces faits. Nous concevons encore que l’éligibilité des hommes de trente ans, des hommes qui peuvent avoir leur carrière à choisir et leur fortune à faire, alarme de plus en plus ceux qui redoutent l’abus des faveurs ministérielles et des pactes politiques, bien qu’à vrai dire l’expérience n’ait point prouvé jusqu’ici que la jeunesse soit plus cupide et plus hardie que l’âge mûr. Mais après tout, la proposition de M. de Sade, convertie en loi, préviendrait-elle d’une manière efficace le mal qu’on redoute ? Il est permis d’en douter. Elle priverait de leur légitime avancement des hommes capables et consciencieux ; elle éloignerait de la chambre quelques hommes habiles ne pouvant pas faire à l’honneur de la députation le sacrifice de leur carrière, et à ce point de vue le projet n’est pas démocratique, il favorise les riches ; quant aux hommes, s’il y en a, qui seraient disposés à d’ignobles transactions, des lois de la sorte ne sont pour eux que des toiles d’araignée. Il y a des siècles qu’ils ont appris à les toutes éluder. Le génie des législateurs anciens et modernes y a échoué. C’est en ces matières surtout qu’un texte de loi n’a jamais suppléé aux mœurs. Défendez les récompenses publiques, vous aurez les récompenses secrètes ; enlevez les moyens directs, vous aurez les moyens indirects. Au lieu du député, on nommera son père, son fils, son frère, son oncle, son cousin, son ami, son protégé, que sais-je ? On aura fait la même chose, mais on croira pouvoir marcher la tête haute, et on ne sera pas soumis à la réélection ! Au nom de Dieu, si mal il y a, n’y ajoutons pas l’hypocrisie.

La proposition de M. Duvergier de Hauranne, dictée également par une pensée morale et politique, nous paraît à la fois plus importante et plus efficace. La question est loin d’être nouvelle. Il serait même fort difficile à un publiciste de rien dire de nouveau à ce sujet. Quant à nous, toute considération générale à part, le vote public nous paraîtrait aujourd’hui, pour nous, un remède topique. Rendre impossible un coup fourré et imposer à chacun le courage de son opinion, c’est faire beaucoup pour la moralité politique. C’est ainsi que se forment les habitudes de franchise et de dignité. C’est pitié d’entendre implorer à mains jointes le vote secret en faveur des hommes timides. C’est précisément pour ne pas avoir d’hommes timides que le vote doit être public. Le courage n’est pas le génie poétique ; il peut s’acquérir. Les militaires les plus hardis affirment qu’il n’y a pas d’homme qui ne se trouble quelque peu la première fois qu’il va au feu. Bientôt les conscrits sont aussi braves que les vétérans. En toutes choses, la nécessité est une puissante maîtresse pour nous. Que de vieux enfans dans ce monde ! Traitez-les comme des enfans proprement dits ; ne leur permettez pas de mal faire ; ne leur laissez pas le choix entre la timidité et le courage ; vous en ferez des