Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/1088

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1082
REVUE DES DEUX MONDES.

On connaît trop les circonstances qui ont amené le vote des fonds secrets pour qu’il y ait utilité de les exposer encore. Il est cependant un point qu’il importe d’établir, moins dans un intérêt de parti que dans celui de la vérité historique. C’est que si l’opposition a été vaincue, elle avait dans les mains les moyens de s’assurer la victoire. Il est nécessaire que ceci soit hors de doute pour que le cabinet lui-même comprenne sa position véritable, et apprécie le caractère d’une majorité toute négative, qu’une autre direction donnée à ce débat aurait réduite à une minorité évidente.

La chambre a peu de sympathie pour le ministère : le plus grand nombre de ses membres avait contracté au sein des colléges électoraux des engagemens qui pèsent encore sur eux, même depuis le vote auquel ils ont concouru. Une majorité de 280 voix au moins aurait soutenu et soutiendrait encore tout cabinet qui, assis sur les deux centres, prendrait pour tâche de reconstituer un grand parti du gouvernement dans les conditions où ce parti existait avant la scission qui a séparé le centre gauche de la majorité actuelle. Personne n’a oublié comment cette scission s’est produite en 1836, et, en dehors des questions diplomatiques, l’on serait fort en peine d’assigner à ces deux fractions de la chambre un symbole politique différent, pour signaler entre elles une dissidence de quelque portée. À la chute du ministère du 22 février, le centre gauche, rejeté dans l’opposition, et fidèle à la fortune politique de son illustre chef, a sans doute contracté avec la gauche certaines affinités qui lui imposent aujourd’hui une grande réserve et quelques engagemens sur des questions secondaires. On ne parcourt pas impunément en commun une carrière de six années, traversée par un grand nombre de vicissitudes, et durant laquelle la gauche a donné à ses alliés accidentels d’honorables et fréquens témoignages de désintéressement et de déférence. Il serait d’un détestable exemple de voir des hommes politiques oublier tout à coup, sous l’empire de nouvelles circonstances, des relations dont le souvenir doit rester d’autant plus précieux à leurs amitiés personnelles qu’il engage moins leurs convictions intimes. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’aucune question touchant à l’ordre constitutionnel et à la politique intérieure du pays ne sépare le centre gauche du centre droit, bien qu’ils aient long-temps voté l’un contre l’autre : une concession prudente et utile peut-être à la dignité de la chambre comme aux services publics, une mesure relative aux fonctionnaires revêtus du mandat législatif, est à peu près le seul point sur lequel le centre gauche ne puisse pas transiger dans une alliance avec la majorité.

La chambre a la conscience de cette situation ; elle comprend à merveille qu’il n’y a de gouvernement fort et stable qu’au prix de cette alliance-là, et que l’œuvre de tous les hommes honnêtes et désintéressés doit consister à ménager le rapprochement de deux fractions qui se complètent l’une par l’autre, et dont les tendances diverses, sans être opposées, sont nécessaires pour attirer autour du pouvoir toutes les sympathies du pays.

S’il est une pensée qui puisse conquérir la majorité dans la chambre, c’est assurément celle-là ; s’il est une tentative dont on puisse garantir à l’avance