« Toute resplendissante d’or, toute rayonnante de pensée, tu es heureuse, tu es riche, tu es pleine de luxe et de force.
« Et les nations les plus lointaines, tournant vers toi leurs regards timides, se demandent quelles seront les lois nouvelles que tu prescriras à leur destin.
« Mais parce que tu es perfide, mais parce que tu es orgueilleuse, mais parce que tu mets la gloire terrestre au-dessus du jugement divin ;
« Mais parce que, d’une main sacrilége, tu as enchaîné l’église de Dieu au pied du trône terrestre et passager :
« Il viendra pour toi, ô reine des mers ! il viendra un jour, et ce jour n’est pas loin, où ton éclat, ton or, ta pourpre, disparaîtront comme un rêve.
« La foudre s’éteindra dans tes mains ; ton glaive cessera de briller, et le don des lumineuses pensées sera retiré à tes enfans.
« Et, oubliant ton royal pavillon, les vagues de l’Océan bondiront de nouveau, libres, capricieuses et sonores.
« Et Dieu choisira une nation humble, pleine de foi et de miracles, pour lui confier les destins de l’univers, la foudre de la terre, et la voix du ciel ! »
Ai-je besoin de dire que cette nation humble, pleine de foi et de miracles, dont parle le poète, est la nation russe. C’est une pensée que j’ai souvent entendu exprimer en Russie, dans les salons comme dans les sociétés universitaires. Les Russes n’hésitent pas à s’attribuer une mission de régénération sociale et l’empire du monde. À Pétersbourg, ils regardent vers l’avenir avec la confiance que leur donnent le rapide et prodigieux développement de leur jeune capitale et l’auréole du pouvoir. À Moscou, c’est le cœur même de la nation qui se nourrit d’espérances gigantesques dans le sanctuaire de sa foi et de son histoire, dans l’enceinte des murs qui ont arrêté le glaive des Tartares et les foudres de Napoléon.