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REVUE. — CHRONIQUE.

rioste. Voyez de quelle génération d’hommes il est entouré, tous également sereins comme lui ; c’est le cardinal Bembo, c’est Castiglione, l’auteur du Courtisan ; c’est Folengo, le Rabelais de Mantoue ; c’est Berni, Sannazar, le divin Arétin ; chacun de ces hommes joue avec le scepticisme, sans penser que l’amusement va devenir sérieux. La papauté est déjà menacée, provoquée, abattue dans le Nord : eux seuls n’en savent rien. Pour mieux cacher le danger, ils l’entourent de leurs cercles joyeux. À peine s’ils ont entendu par hasard prononcer ce nom de Martin Luther ; dans tous les cas, il ne représente pour eux rien qu’une de ces tentatives éphémères, une de ces révoltes de barbares que le génie du midi va promptement étouffer. Le pape Léon, dans son heureuse sécurité, ne permet pas que la fête de l’art soit troublée par aucune appréhension ; plus le danger est proche, plus la sécurité augmente. En présence de cette réforme puritaine, l’église, pour sa défense, se contente d’abord de s’envelopper des magnificences réunies de la poésie et de la peinture, de même que dans les premiers temps il lui avait suffi pour repousser le barbare de marcher au-devant de lui, vêtue de ses plus pompeux ornemens. C’est par les chefs-d’œuvre de l’art qu’elle prétend désormais le convaincre, le désarmer. Époque d’imprévoyance, où l’autorité, puisant sa force en sa seule beauté, a pour poète Arioste : il réunit dans son génie les rayons heureux qui brillent au front de toute cette génération dont il est entouré ; en lui se confondent l’esprit chevaleresque de Bojardo, la verve monacale de Folengo, la politesse railleuse de Castiglione, le rire effronté d’Arétin, le sarcasme plébéien de Pulci, l’ironie patricienne de Laurent de Médicis, du cardinal de Bembo ; en un mot, tous les genres de scepticisme que se permettait une société, qui, au fond, pleine de confiance en sa durée, s’amusait de son propre ébranlement et riait de son danger.

Entre l’époque d’Arioste et celle du Tasse, que s’est-il passé ? Pourquoi la physionomie générale a-t-elle si brusquement changé ? pourquoi le sourire de la génération précédente a-t-il disparu ? À la place de cette radieuse figure de Léon X, pourquoi cette suite de papes sévères, austères, affairés, Adrien VI, les deux Paul, Sixte V, Clément VIII ? Pourquoi ces chefs de l’église, qui préféraient Cicéron à l’Évangile, ont-ils eu pour successeurs des ames enthousiastes qui semblent avoir reçu un nouveau baptême aux sources mêmes du christianisme : un Charles Borromée en Italie, une sainte Thérèse, un Ignace de Loyola en Espagne ? Quel contraste avec l’âge précédent et la papauté des Borgia ! Un mot explique ce changement. Dans l’intervalle des deux générations, la réformation a éclaté, non plus un bruit sourd, une remontrance timide, mais une scission éclatante, triomphante ; le Nord a rompu avec le Midi ; l’église s’est partagée ; il faut qu’elle ramasse ses forces pour se défendre. De ce moment commence la réaction du catholicisme menacé de succomber par surprise ; l’art prend une nouvelle route. Au catholicisme demi-païen qui s’étalait sur les toiles de l’école de Venise, le Dominiquin, le Guide, opposent les tableaux ascétiques du saint Jérôme et de la Madeleine pénitente. La musique change en même temps de carac-