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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/19

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CRISE DE LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE.

d’après la philosophie, qu’à lui soumettre tous les esprits, afin qu’en eux Dieu resplendisse de plus en plus des clartés de l’intelligence, se transfigure de lumière en lumière, et dissipe toujours davantage les obscurités primitives qui le voilent encore.

Je regrette de parler aussi rapidement de cette vaste conception. On ne résume pas une encyclopédie. Je voudrais du moins esquisser à grands traits les vues de Hégel sur l’art, les religions, le droit, l’histoire de la philosophie. Il serait intéressant de comparer le premier système de M. Schelling à celui de Hégel, et de voir combien ces deux grands esprits ont imposé le contraste de leur génie à des philosophies pareilles. Cette différence se dessine bien dans leurs vues de la nature. M. Schelling a été frappé de sa beauté, Hégel de ce qu’elle a d’irraisonnable. M. Schelling a remarqué surtout l’harmonie de la nature et de l’esprit, Hégel a plutôt signalé leur opposition. Le panthéisme a chez l’un les pompes d’une majestueuse poésie ; chez l’autre, la froide précision et la sévérité logique ; mais je ne puis poursuivre ce parallèle.

Ce Dieu impersonnel, qui ne se réalise que dans l’univers, obsède aujourd’hui la pensée en Allemagne. C’est contre lui qu’elle se débat et cherche à se défendre. Envisageons-le de plus près, afin de le mieux connaître et de mieux comprendre ce qui anime à le repousser. Le panthéisme refuse à Dieu la personnalité pour sauver en lui l’infini. Qu’y gagne-t-il ? Dieu ne peut alors se réaliser que dans le fini ; mais le fini ne suffit pas à le réaliser. L’infini a beau multiplier le fini et le produire toujours plus parfait, le fini n’en demeure pas moins incapable de le contenir ; l’univers ne sera jamais adéquat à l’idée de Dieu : la contradiction est insoluble. Le panthéisme croit la surmonter en disant que Dieu se manifeste dans l’infinie variété des choses finies. Mais cette variété est-elle vraiment infinie ? Reculez sans mesure les bornes de l’espace et du temps, peuplez ces étendues de myriades de mondes, ces siècles de multitudes humaines ; ne vous lassez jamais d’agrandir vos conceptions : vous ne ferez qu’un essai impuissant de dépasser le fini, vous n’aurez que sa négation et non pas son contraire, ce qui le présuppose et non pas ce qui le précède, l’indéfini en un mot et non pas l’infini. Ce Dieu n’est donc jamais réalisé en tant qu’infini. Le panthéisme immole inutilement la personnalité de Dieu. La raison qu’il donne contre elle se retourne contre lui. Il ne résout pas la difficulté, il en crée mille autres, qui toutes naissent de cette contradiction suprême que je viens de signaler.