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CRISE DE LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE.

me le promet et tout me trompe. Dans ces formes fugitives et changeantes qui s’offrent à moi, je ne rencontre que ses décevantes images, lui jamais, lui nulle part ; je ne me promène que parmi de vaines apparences de Dieu. Ce monde est vide de lui et n’est plein que de ses fantômes. Je serai éternellement séparé de celui que je ne peux m’empêcher de toujours poursuivre.

Et que parlé-je de Dieu ? Dieu n’est pas dans ce système, il ne fait que devenir. Or, le devenir suppose nécessairement la permanence. Sous ce qui varie et passe, quelque chose doit être d’immuable et d’éternel. Qu’y a-t-il ici de permanent ? Le fini change sans cesse ; l’infini dans le fini se métamorphose continuellement ; ce qui seul subsiste sans changer, c’est donc l’infini en tant qu’infini. Mais, dans ce système, ce n’est rien de réel, ce n’est qu’une vaine abstraction, qu’un néant. C’est là le triste secret qu’enfin je découvre. C’est là le deuil que l’univers s’efforce de déguiser sous toutes ses brillantes parures. C’est du néant que tout sort ; c’est en lui que tout s’abîme ; son affreuse nuit enveloppe tout. Il est le commencement et la fin, et son morne silence me répond à la place de Dieu. Ce système, avec son vêtement sacerdotal et la pompe religieuse de sa parole, n’est ainsi, à le bien prendre, comme on l’a dit, qu’un athéisme emphatique.

Je n’insiste pas sur les conséquences morales : on les prévoit, on les a souvent signalées. Dieu, s’il était quelque chose, ne serait plus qu’un inexorable destin, cruel surtout à lui-même. Avec ce fatalisme, plus de liberté, ni bien ni mal ; avec l’apothéose de l’humanité, toutes les passions sanctionnées comme des forces divines.

Il faut qu’il y ait aujourd’hui un attrait puissant vers le panthéisme, car il est le grand évènement de la pensée contemporaine. On est assez peu surpris de le trouver chez nos voisins. Leur génie impersonnel et abstrait, une sorte de tendresse pour la nature, l’instinct de l’infini facilement égaré vers ce monde, tout, dans leur pensée et dans leur imagination, les y prédispose. Les forêts de la Souabe et du Harz ont vu, comme celles de l’Inde, plus d’un enthousiaste rêveur se perdre dans leur secrète nuit pour y chercher Dieu. Cependant jamais le panthéisme n’était en Allemagne, avant ce jour, général et avoué. Mais, chose étonnante, il a fait aussi invasion en France : c’est là pourtant où il devait trouver le moins faveur. Il répugne trop à la précision du génie national et à notre vif instinct d’individualité. Malgré cela, nos meilleurs esprits se sont laissé surprendre. Il a enivré de brillantes imaginations et séduit de généreuses intelligences. On le retrouve dans la poésie, le roman, l’histoire, la