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EXPÉDITION DU CAPITAINE HARRIS.

village construit en pierre. Les cris des sauvages, qui se montrèrent en haut frappant leurs boucliers, firent que les animaux marchèrent sans nous voir, de notre côté, jusqu’à vingt pas de l’embuscade. Le groupe était de neuf, toutes femelles à larges défenses. Nous choisîmes la plus belle et, avec le plus grand sang-froid, lui envoyâmes une décharge de cinq balles ; elle tomba, se remit un peu, poussa un petit cri de désespoir, tandis que les autres, redressant leurs trompes, gravirent la colline avec la plus grande vitesse, leurs larges oreilles en éventail clapotant sur les joues en raison de la rapidité de leur course. »

En se retournant, les chasseurs voient une seconde vallée entourée de collines pierreuses et nues, traversée par un petit ruisseau, paysage immense, panorama unique, entièrement couvert d’éléphans ! La nuit, au milieu de l’orage et du vent, ces gigantesques animaux, horriblement troublés dans leur habituelle quiétude, passaient près des voyageurs en poussant avec leurs trompes une plainte ou un cri de colère pareil à l’éclat de la trompette.

Cependant le capitaine Harris éprouva un sentiment de pitié pour les pauvres bêtes si impitoyablement harcelées ; ce fut lorsqu’un de ces beaux quadrupèdes, en tombant près de son petit trop jeune encore pour fuir, rappela à l’officier anglais son propre éléphant, sa monture favorite dans ses courses à travers les jungles de l’Inde. Comme pour venger leurs sujets (qu’ils ne ménagent guère eux-mêmes), les lions, rois du désert, attaquaient le camp en plein jour, et il fallait les repousser à coups de fusil du haut des chariots ; il y en avait de tout âge, depuis le lionceau encore sans crinière, jusqu’au vieux lion si décrépit qu’il n’avait plus de dents, et ne daignait pas prendre la fuite. Assurément, pour qu’un animal arrive à ce degré de vieillesse et meure dans son gîte de mort naturelle, il faut qu’il règne en maître sur ses nombreux ennemis, et qu’il s’en fasse craindre même quand il n’a plus la force de se défendre.

Sur les bords du Limpopo, le crocodile et l’hippopotame, amphibies tous les deux, se partageaient l’empire des eaux et se disputaient la possession des marais et des grèves. La chasse du dernier de ces animaux n’était pas sans danger, et elle présentait aussi des difficultés particulières, en ce que l’hippopotame, presque caché sous l’eau, ne montrait pour point de mire que l’extrémité de son museau. Sa chair est excellente ; elle passe même pour une des délicacies les plus recherchées sur les tables hollandaises, et nos deux Anglais ne négligèrent pas de s’en assurer par eux-mêmes. Quant aux pieds d’éléphant,