Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
REVUE DES DEUX MONDES.

ôté au Christ son auréole ; le dieu n’était plus demeuré qu’un moraliste. Fichte avait annoncé un jour à Iéna que dans quelques années le christianisme n’existerait plus. Schelling n’avait pu se disculper de spinosisme. On accueillit donc avec bonheur une philosophie plus sévèrement rationnelle que les précédentes, et dont les formules étaient d’une scrupuleuse orthodoxie.

Hégel fut à son apogée en 1828, au moment où il se vit soutenu par un concours assez nombreux pour publier les Annales de Berlin ; on assure même que le gouvernement soutenait ce journal. Ce fut aussi, il est vrai, le moment ou la défiance s’éveilla. On se posait avec inquiétude plus d’une grave question : on se demandait surtout si la distinction du monde et de Dieu était assez vivement accentuée. Mais des théologiens respectables, des hommes de talent et de piété, se déclaraient pour Hégel. Il était lui-même sobre, circonspect, et ne montrait rien de révolutionnaire. Il ne songeait pas à détruire : il paraissait plus jaloux d’expliquer le passé que de troubler le présent ou de préparer l’avenir : cette réserve le fit même reculer devant la conclusion de ses principes. Il semble quelquefois hésiter, et l’on peut trouver dans ses ouvrages des propositions qui ramènent au théisme ; mais ce sont là évidemment des inconséquences. Hégel, en un mot, était assez différent de son système. Il montra aussi la même retenue en politique. Tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel se réalise, avait-il dit. On peut s’armer de ce principe pour maintenir ce qui est et pour consacrer tous les progrès, pour demeurer stationnaire et pour provoquer des révolutions, pour légitimer le quiétisme politique, comme aussi l’impatiente ardeur des changemens. Il justifie tout acte lorsqu’il est accompli ; mais interprété d’après l’ensemble du système, il appelle à un progrès incessant. Hégel fit de son principe un usage très timide. On commença, dans son école, par ne traiter guère bien le libéralisme, on l’y trouvait banal. Hégel n’alla pourtant pas jusqu’à défendre le régime absolu de la Prusse. Dans la première édition de la Philosophie du Droit, il propose pour idéal la monarchie tempérée et représentative ; mais il parle d’un ton chagrin et équivoque des institutions qui lui sont nécessairement liées. Gans publia, après la mort de Hégel, une nouvelle édition de la Philosophie du Droit, et il dit dans la préface que cet ouvrage semble être fait du bronze de la liberté. Il y a en effet dans cette seconde édition un progrès sensible vers les idées libérales. Est-ce là un bon office de Gans ou un changement de son