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pères, pour se plonger dans les déserts non frayés de l’intérieur, bravant les périls et les fatigues d’un voyage dans ces contrées solitaires, quoique beaucoup d’entre eux fussent sur le déclin de l’âge, et cherchant une nouvelle patrie sur un sol étranger et inhospitalier. »

En effet, c’est un spectacle extraordinaire et solennel que celui de cette troupe de colons se faisant tout à coup nomades, marchant avec une obstination résignée droit devant eux, tournant le dos aux habitations, s’enfuyant vers le désert, se vouant, eux, leurs femmes et leurs enfans, à tous les dangers d’une émigration aventureuse, et cela pour se soustraire à la domination anglaise, pour se créer hors des limites reculées de la colonie une patrie quelconque. Mais quelles furent les causes de cette détermination ? C’étaient « les pertes que leur faisait éprouver l’émancipation des esclaves (essayée par l’Angleterre sur des sujets conquis), l’absence de lois qui pussent les protéger contre les déprédations et le vagabondage des gens sans aveu qui infestent la colonie, et surtout l’état peu sûr des frontières de l’est et l’insuffisant appui que leur prêtait le gouvernement anglais contre les attaques des Kafres, qui avaient changé en solitudes les lieux les plus richement cultivés. »

Ce sont là, il faut en convenir, de sérieux griefs, et l’écrivain anglais lui-même s’étonne que le gouvernement du Cap ait si longtemps négligé d’apporter à cet état de choses des remèdes dictés par « la raison, la justice et l’humanité. » Pris au dépourvu par une mesure qui les privait brusquement du travail des esclaves, sans qu’ils eussent eu le temps de s’y préparer, exposés aux incursions des sauvages, sous les coups desquels « ils virent durant bien des années, leurs foyers inondés du sang de leurs parens les plus proches et les plus chers, » abandonnés complètement par les nouveaux maîtres, qui semblaient ne voir dans cette colonie, si florissante et si laborieuse, autre chose qu’un port de relâche sur la route des Indes et de la Nouvelle-Hollande, les colons de la frontière secouèrent un joug pesant, puisqu’il était inutile, et brisèrent hardiment les derniers liens par lesquels ils tenaient aux nations civilisées.

Quand cette grande détermination fut arrêtée, quand ce projet d’émigration fut bien mûri par les mécontens, il se tint des conseils : où aller, où fuir pour être à l’abri des Anglais et des sauvages, des maîtres qui opprimaient sans secourir, des ennemis chaque jour plus entreprenans ? Et comme on parlait beaucoup sur la frontière de la richesse du sol dans le Natal, on résolut de se diriger vers ce point ; un détachement de hardis colons s’avança jusqu’à cet Eldorado, et le rapport que firent les éclaireurs de la contrée explorée