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science. Quelle amertume lui avait-elle donc trouvée ? Strauss ne disait pourtant rien de nouveau, il ne faisait que réunir les opinions éparses, conclure avec logique, et cette conclusion qui s’imposait fatalement aux esprits, qui résumait la vraie pensée de l’Allemagne, était l’apostasie. On aurait été triste à moins. On vit alors ce que cachaient les formules de Hégel. Strauss ne permettait plus de se méprendre. Il dévoilait avec une cruelle franchise le sens des paroles qu’on répétait sans les bien entendre. On connaît son résultat. Jésus n’est qu’un symbole de l’humanité ; c’est d’elle qu’il faut entendre ce que le mythe évangélique disait de lui. Elle est la raison divine incarnée dans une forme finie ; elle est fille d’une mère visible et d’un père invisible, de la nature et de l’esprit ; elle a la puissance des miracles, car elle se soumet toujours mieux la nature, et lui commande avec autorité. C’est elle qui souffre et qui ressuscite de toutes les morts. Elle est sainte, car son développement est nécessaire, irréprochable donc, et le mal n’est qu’une infirmité de l’individu, il n’existe plus dans l’espèce. Cela était net et ne laissait plus d’équivoque.

Strauss acheva son œuvre de destruction dans sa Théologie chrétienne. Il y attaque l’un après l’autre tous les dogmes de l’église, comme il avait auparavant attaqué tous les faits de l’ÉvangiLe. Il ébranle sous les coups de sa dialectique les croyances qui sont la force et la consolation de l’homme, et cela sans la moindre émotion de haine ou de pitié, sans joie et sans douleur. Pourquoi s’en étonner ? Ne vous y trompez pas, ce n’est pas lui qui parle : encore ici il n’apporte pas un seul argument nouveau. Il se fait l’historien du doute de l’humanité. Cette critique n’est pas la sienne, elle est celle des siècles. Il se borne à résumer leur discussion : son livre, écrit avec une précision géométrique et une froide clarté, n’en est que le protocole. Strauss cependant, malgré son désir, n’a pas réussi à être entièrement impartial. On ne peut méconnaître l’influence que sa conviction philosophique a exercée sur cette histoire. Il a le tort de prendre le système de Hégel pour le suffrage définitif de l’esprit humain. On devine ce qui lui reste de tous les débris de nos croyances. Dieu n’existe que dans la nature et l’humanité : l’autre monde est donc une superstition : plus de ciel, plus d’immortalité. Strauss s’abuse : il peut connaître les lois de la logique, il ignore le reste de l’homme. Cette triste et vulgaire sagesse ne nous suffit pas, elle ne demeurera pas long-temps la nôtre.

Strauss devait être dépassé. Dans ce 93 de la logique, il n’est que