Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/277

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
271
POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

l’amour du divin imprévu. Il n’a point été, son histoire et ses travaux l’ont démontré, un artisan de paradoxes, mais tout a voulu être brusque et imprévu dans sa vie, hélas ! et dans sa mort. Frappé d’apoplexie à la porte du ministère des affaires étrangères, le soir du 22 mars 1842, M. Beyle fut rapporté chez lui, où il expira six heures après. Celui qui, fonctionnaire public, savait si bien trouver des millions, est mort pauvre, et le dernier jour l’a surpris n’ayant rien que des amis et des manuscrits qui avaient besoin encore du lendemain.

Voilà sa vie, la voilà du moins telle que nous pouvons la connaître et la comprendre. Mais, s’il faut tout dire, le dernier mot de cette vie, mot que M. Beyle a voulu nous suggérer un peu tard dans son épitaphe (amò), n’est ni dans les souvenirs ni dans l’intelligence d’un homme, il est dans le cœur d’une femme. L’amour, telle a dû être la pierre de touche de ce caractère. M. Beyle a-t-il été cette ame tendre et passionnée qu’il veut laisser deviner en affectant de la cacher, ou n’a-t-il été qu’un épicurien railleur, sceptique et madré, qui craindrait d’être dupe de la vie, s’il la prenait un instant au sérieux et s’il cessait d’en rire ? On peut dire de tout homme, surtout lorsqu’il a passé trente ans : dis-moi quelle femme tu aimes, je te dirai qui tu es. Pour M. Beyle, qui a tant exalté un certain idéal de femme et d’amour, pour M. Beyle, dont tous les écrits reposent sur le contraste de cet idéal et de celui qu’il suppose à ses lecteurs français, cette vérité serait vraie plus encore que pour tout autre. Il nous relègue si plaisamment dans notre Nord et dans notre vanité, nous autres Français, nous surtout Français d’en-deçà la Loire, il nous répète sous tant de formes le conseil de la Vénitienne à Jean-Jacques, studia la matematica, Zanetto, e lascia le donne, laisse l’amour, mon petit Jean, et enlève des redoutes à la baïonnette ou fais des comédies comme Molière et des romans comme Voltaire, que, lorsqu’il parle de l’amour, il semble qu’il nous entretienne de choses inconnues découvertes en un pays lointain. N’est-il pas même dans son livre de l’Amour un chapitre intitulé Voyage dans un pays inconnu ? Ne dit-il pas dès la seconde phrase de ce chapitre : « C’est une dissertation obscure sur quelques phénomènes relatifs à l’oranger, arbre qui ne croît ou qui ne parvient à toute sa hauteur qu’en Italie ou en Espagne ? » Il conseille en conséquence aux hommes nés dans le Nord de sauter au chapitre suivant. Or, cet arbre des pays chauds dont il va traiter, c’est l’amour. Sur ce point qu’il donne lui-même comme capital et auquel il rattache toutes ses théories sur les beaux-arts et sur les caractères des peuples, s’est-il laissé entrevoir