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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/283

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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

forceraient à inventer des démarches singulières et peut-être ridicules, qui rend si rare le courage civil[1]. » C’est pour montrer qu’il ose déserter l’habitude, qu’il ose affronter et provoquer l’affreux danger de rester court devant une objection, c’est pour mettre du courage civil jusque dans sa phrase que M. Beyle ajoute souvent une rodomontade à l’expression juste et suffisante de sa pensée. Si on retrouve là l’esprit de son premier métier, on y retrouve aussi l’homme des salons, car c’est contre des dangers de ridicule que M. Beyle s’excite et s’échauffe ainsi. Il a dit encore que, « les grandes passions étant de mode dans la haute société, il a le malheur de ne plus croire à la passion que lorsqu’elle entraîne à des actes ridicules. » C’est là une de ces pensées presque profondes, et, dans tous les cas, judicieuses et avisées, qui indiquent le Dauphinois jamais dupe ; mais, comme il tient par-dessus tout à passer pour l’homme passionné par excellence, c’est encore là une des raisons qui le poussent aux singularités. L’homme de salon reparaît dans l’attention affectée qu’il met à éviter le mauvais goût de l’emportement passionné, soutenu au-delà d’une phrase, et à contenir son enthousiasme sous le boisseau. N’a-t-il pas reconnu en effet que « le bon ton consiste assez en France à rappeler sans cesse, d’une manière naturelle en apparence, que l’on ne daigne prendre intérêt à rien ? » Voilà de quel mélange bizarre s’est composée la physionomie de M. Beyle, et comment l’homme à qui l’idée et la crainte du ridicule ont été le plus insupportables est aussi l’homme qui s’est le plus ingénié à se créer des occasions de déployer un faux air de bravoure contre le ridicule. Il a fait comme ces conscrits qui, selon lui-même, « se tirent de la peur en se jetant à corps perdu au milieu du feu. »

Quant aux matières dont il s’est occupé, bien qu’il en ait étudié quelques-unes avec une application suivie, sérieuse et peu commune, bien qu’il ait pris une notion suffisante de la plupart des autres, et qu’il ait cherché dans toutes la réalité essentielle, l’élément propre qui les constitue, cependant il n’en a traité qu’avec cette façon leste, décousue, mondaine, qui réduit tout à l’agrément et s’adresse au goût plutôt qu’à l’attention. Il faut, nous l’avons dit, penser, et penser beaucoup, en lisant M. Beyle, mais nous ne parlions que pour ceux qui le prendraient plus au sérieux qu’il n’a l’air de se prendre lui-même, et qui trouveraient de l’intérêt à ressaisir le principe et la chaîne de ses pensées à lui. Nous faisions d’ailleurs

  1. Les mots en italique sont soulignés par M. Beyle.