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CRISE DE LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE.

mythologie imaginée par le cœur humain. C’est toujours le curieux procédé de la critique moderne. Le christianisme n’est pas entièrement faux : il est une figure de la vérité. Seulement, nouvelle étrange, la vérité qu’il cache est l’athéisme, et la charité sert de symbole à l’égoïsme. La religion n’est qu’un songe éveillé, qu’une illusion d’optique, dont on peut maintenant calculer les lois. L’humanité, dans Strauss, est encore l’incarnation de Dieu : ici, Dieu n’est que le spectre solaire de l’humanité, il n’a aucune réalité. Feuerbach, avec ceux qui donnent du christianisme une interprétation mythique, n’omet qu’une chose, pour rendre son explication plausible, c’est l’expiation. Il est vrai que c’est la pensée suprême du christianisme. Du reste, ses déductions ne manquent pas d’une perfide adresse. Feuerbach flatte nos grossiers penchans : c’est là sa faiblesse et sa force. Mais attendons la fin. L’amour de soi remplacera l’amour de Dieu ; chacun vivra en ce monde comme le cœur lui dira. Ne vous inquiétez pas des autres : le meilleur souci à prendre d’eux est de ne songer qu’à vous ; tous nos défauts, tous nos travers, toutes nos passions, se font équilibre et composent une humanité parfaite. C’est à peu près la belle découverte de Fourier. Je n’ai pas tout dit : Méphistophélès, sous le bonnet de docteur allemand, a des accès de candeur qui gèlent ses affaires. Savez-vous ce que Feuerbach fait des sacremens de l’église ? Il y voit encore des symboles d’éternelles vérités : très sérieusement il les retient dans son athéisme. Au lieu du baptême, c’est fort simple, des bains d’eau froide : l’eau renouvelle tout l’être, purifie l’esprit et le corps, le frisson qu’elle donne fait magiquement tomber nos fatigues et nos soucis ; enfin c’est toute une litanie mystique de l’eau claire. L’eucharistie, vous le devinez, c’est la table. Manger, boire et se laver, voilà les rites de la nouvelle humanité : le reste est superstition. Feuerbach avoue naïvement, dans ce merveilleux chapitre, que tout cela semblera bien vulgaire ; mais il nous avertit que, s’il y a une dévotion à garder, c’est celle du trivial. Il joint à ces hautes vues des gentillesses démagogiques, et tonne contre les tyrans. En vérité, ces pauvretés ne sont plus de la philosophie.

Je viens de tracer le développement de l’école hégelienne. Le maître contint par sa réserve sa savante erreur. Strauss nia le Christ, le ciel et l’immortalité. Les Annales allemandes effacèrent ce nom de Dieu qui ne semblait, après tout cela, qu’une importune inutilité. Chaque pas, sur ce triste chemin, nous a fait rencontrer quelque nouvelle ruine ; à la fin il nous est resté le néant. Cette critique n’est plus la mienne : c’est l’histoire qui a pris soin de la faire.