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que deux formes : l’anecdote et la biographie. Avec l’une il peint les individus, avec l’autre les époques. En cela il est bien lui, et ce n’est point par là qu’il procède de Montesquieu. Mais de même que, dans son livre de l’Amour, la partie capitale, celle où il a placé ses idées les plus chères, n’est point l’analyse et l’histoire de l’amour, de même, dans l’Histoire de la Peinture, sujet dont il s’est toujours occupé, et avec passion, il a déposé le résultat de ses méditations, le fruit de toute sa vie, dans un morceau qui ne tient que fort indirectement au récit, qui l’interrompt, qui l’éclipse. Cette dissertation, qui n’a de métaphysique que le fond, est une histoire de l’idée du beau depuis l’origine des arts jusqu’à nos jours, ou, si l’on veut, une théorie comparée du beau antique et du beau moderne. Jamais, que nous sachions, des idées plus abstraites n’ont revêtu des formes plus arrêtées, plus nettes, plus palpables. Sans doute, on peut ne pas accepter toutes les opinions de l’auteur, et lui-même, faisant la part de ce qui n’est point démontré ni démontrable, déclare en un endroit : « Je n’ai point dit : je vais vous prouver cela, mais : daignez vérifier dans votre ame si par hasard ce n’est point cela. » Il prend le beau à sa première origine, c’est-à-dire à la pierre informe dans laquelle l’homme encore sauvage reconnaît et adore une représentation de son Dieu. Bientôt cette pierre brute ne suffit plus aux idées déjà acquises par la peuplade devenue moins sauvage. Le ciseau commence à la dégrossir et à lui donner une forme qui se rapproche grossièrement de celles du corps humain. Puis viendront les statues des Égyptiens, enfin l’Apollon du Belvédère. M. Beyle va construisant une à une, avec une sagacité merveilleuse, les idées qui, suivant l’ordre logique de l’esprit humain et la marche des civilisations, ont dû s’ajouter successivement à la notion où l’artiste avait pris son premier idéal, le Dieu sa première forme, jusqu’au moment où le génie d’une civilisation raffinée éclate dans le magnifique ensemble de perfections et d’idées que représente la tête du Jupiter mansuetus. Appuyé sur le principe que le beau est la saillie de l’utile, il prend dans les besoins, dans les croyances, dans les mœurs, dans les données diverses et nécessaires de la vie antique, tous les élémens du beau antique. Chaque trait qu’il ajoute à son bloc de pierre devenu statue correspond à un incident du développement social ; puis, examinant à leur tour les caractères propres et distinctifs qui se sont ajoutés à la civilisation, à la vie moderne, il en fait jaillir sans effort tout ce qui, dans notre ame, s’ajoute à l’idéal des anciens, à leur perception du beau. Nous le répétons, on peut re-