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toute l’Europe. En Italie, Pétrarque et son triomphe, Boccace et ses honneurs, Dante et sa gloire classique sollicitaient et exaltaient cette fièvre ardente. Alors le plus beau cadeau est un manuscrit, la plus belle possession celle d’un volume. On se met à écrire si violemment, que les mots se confondent ; les lettres ne font plus qu’un trait, les mots une ligne, et les lignes, comme dit Clemengis, une broderie indéchiffrable avec des jours et des enchevêtremens plus divers que les tours dentelées de nos cathédrales. Pendant cinquante ans, tous les hommes instruits se plaignent de l’illisibilité des caractères cursifs ; on multiplie les abréviations, comme si la pensée, impatiente de son instrument imparfait, l’eût brisé dans sa colère.

Cette irrésistible pression que le genre humain exerce sur ses destinées mérite bien plus d’être remarquée que les dates, les documens, les citations et les témoignages. Le genre humain avait besoin d’un instrument nouveau, et il le créa. Pendant tout le commencement du XVe siècle, on sent la véhémence de l’élément comprimé qui va reculer ses parois ou les briser. Le Midi possède déjà des génies aimables ou sublimes et jouit des produits de l’intelligence, premiers fruits éclos sous le soleil et à l’aide de l’héritage antique. On est plus inquiet au Nord ; on est plus jeune, moins avancé, plus ambitieux. Le peuple s’éveille, la population augmente, les bourgeois se réunissent, le bien-être suscite de nouveaux besoins. Ce que l’on a, on le perfectionne ; ce que l’on n’a pas, on l’emprunte. Le clergé inférieur sert cette impulsion ; le haut clergé, vêtu de sa cotte de mailles et tenant la croix pacifique, chrétien et féodal, contradiction étrange, se croirait déshonoré s’il renonçait à l’une de ses forces actives, et à la plus vive de toutes, à l’éducation des sociétés ; il y travaille, quoi que l’on ait dit, tout en faisant des fautes, en sacrifiant à ses intérêts, en créant trois papes et en tuant des hommes ; ce que je n’excuse pas.

C’est dans de telles circonstances et sous ces influences, que l’on trouva le moyen de se passer de copistes, de remédier à leurs erreurs ou à leur lenteur, de copier mécaniquement, de copier exactement, de multiplier l’exemplaire à l’infini, de le perpétuer à jamais, c’est-à-dire d’éterniser l’idée. L’imprimerie naquit.

Mais d’où vint-elle. ? Quelques-uns disent de Chine et de Tartarie. Bernhard de Malinckrot[1] examine la question de savoir si Saturne

  1. De ortu ac progressu artis typographicæ, etc., a B. Malinckrot, Decano monasteriensi, etc. (Coloniæ Agrip. 1640, in-4o.)