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Lancelot. Ces belles images étaient peintes et dorées d’un côté, blanches de l’autre, fortes comme des plaques de bois, vivement enluminées, et elles charmaient tout le monde. On aimait le symbole alors, et c’était une très belle allégorie. Les rois et les reines y gagnaient à coup sûr, et les puissans y avaient toujours raison.

Le clergé s’avisa donc de vouloir bannir les cartes, jeu de hasard et d’abomination, et de conseiller aux fabricans la création de feuilles de parchemin séparées, portant, au lieu de ce païen César et de cette païenne Didon, de beaux saints et de belles saintes avec des légendes et quelquefois leurs noms. L’œuvre n’était pas difficile ; il suffisait de copier les vitraux de toutes les églises. On jouait aux cartes avec les fidèles, et quand même ils n’auraient pas su lire, il n’y avait pas moyen de fermer les yeux et de ne pas se rappeler Moïse, Pharaon, Joseph ou Jacob. Bientôt ces nouvelles cartes, grandes comme la main, furent recherchées ; on les assembla pour en faire des recueils de gravures. Les vitres et les fenêtres des couvens déteignirent sur ces petits volumes primitifs. Toutes les verreries du couvent d’Hirschau se retrouvent, dit Lessing[1], dans le vénérable bouquin nommé Biblia Pauperum. Cette fécondité de l’idée est le plus profond et le plus admirable des prodiges.

Ces cartes étaient gravées sur bois comme les anciennes cartes à jouer. Point de perspective, de proportion, de dégradation de lumière. Cependant l’étude des vitraux perfectionna ces graveurs sur bois ; ils formèrent deux confréries, celle des tailleurs de bois et celle des peintres de lettres ou ymagiers, toutes deux fort riches. Ainsi le dessin, la gravure, la peinture, l’empreinte imitée du cachet antique, avaient déjà contribué à former cet art, qui n’était encore qu’une ébauche.

Tout cela se passait dans le moment où fermentait la singulière exaltation que j’ai décrite, où le roi cherchait des livres, où le pauvre voulait déchiffrer une inscription, où l’on retenait un copiste six mois à l’avance, où Alphonse de Naples faisait la paix avec Médicis, qui lui avait prêté un manuscrit. Puisque l’on gravait déjà des légendes de saints sur des blocs de bois, pourquoi ne pas y graver des mots, des phrases et des paragraphes ? Pourquoi ne pas se servir du même moyen pour tirer beaucoup de copies ? Le clergé ne pouvait que gagner à cette popularisation des légendes et des psaumes. Ces grossières images de saints que l’on voit suspendues au foyer de nos

  1. Lessings Beytræge, II S. 327.