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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/345

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REVUE LITTÉRAIRE.

Jean-Jacques va tous les matins se promener sur les rives d’une petite île où il s’est confiné dans un de ses accès de poétique misanthropie. Chaque objet qui se présente à lui le fait penser. La fleur qui vous regarde à travers les herbes, le peuplier pâle, le saule éploré, augmentent tour à tour d’une note vibrante le concert qui s’élève dans son cœur. Un jour qu’il se sent en veine d’écrire, il se souvient de toutes les voix qu’il a entendues en lui et hors de lui dans ses excursions champêtres, et il compose un livre qui passionne plus certains esprits qu’un récit de découvertes ou de conquêtes, les Rêveries d’un Promeneur solitaire. Il est un monde qui vaut bien le monde de la matière, c’est le monde de l’intelligence. Pourquoi le promeneur recueilli, qui raconte avec simplicité et bonne foi ce qu’il a pensé dans ses courses à travers les romans, les poèmes et les drames, ne serait-il pas écouté avec autant d’intérêt que celui qui s’est arrêté devant les sources murmurantes et les buissons chargés d’oiseaux ? Ce promeneur, c’est le critique. Il livre au public, pour qu’il les juge, les impressions qu’ont fait naître en lui les objets divers et multiples sur lesquels s’est portée sa vue. Dire à la critique : « Vous faites une œuvre inutile et sans valeur, parce que nous pouvons bien voir par nos yeux ce que vous essayez de nous raconter, » c’est dire à la peinture et à la poésie : « Pourquoi rendre cet arbre ? Pourquoi décrire ce cheval ? L’arbre dont le vent balance les branches, le cheval dont une puissance électrique parcourt le corps frémissant, font paraître ridicule votre amas de couleurs et de mots. Vous profanez les choses vivantes en les prenant pour en faire des fantômes. » Ce qui dégoûte beaucoup de nobles intelligences de la critique,