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REVUE LITTÉRAIRE.

Prières. L’auteur de ce nouveau recueil de poésies y dit quelque part avec finesse et douceur :

J’ai rencontré sur la terre où je chante
Des cœurs vibrans, juges harmonieux,
Écoutant bien pour faire chanter mieux.

Puisse-t-il avoir de nouveau à se louer de ces cœurs indulgens ! Nous désirons sincèrement le succès de son livre. Si pour notre part nous ressemblons trop peut-être au jeune homme qu’on reprend avec tant de bienveillance, si nous n’avons chaud qu’au soleil, combien n’existe-t-il point de tendres et rêveurs esprits qui étendent de préférence leurs ailes aux rayons des pales lumières ! À la fin d’une veillée solitaire, plus d’une femme pensive, dont les enfans sont endormis, quittera peut-être son aiguille pour placer avec bonheur ce livre de poésies sous la clarté de la lampe qui vient d’éclairer ses travaux. Ceux que n’enivrent point Properce et Catulle, qui ne se sont pas embrasés au flambeau de Lucrèce d’un amour ardent pour les mystérieuses énergies de la nature, ceux que Pétrone n’a pas conduits à ces étranges saturnales où la vie prend les gigantesques dimensions du rêve ; tous ceux enfin qui ne les ont pas connus, ces maîtres latins dont les leçons font paraître dure l’ame qu’elles ont trempée, peuvent goûter un plaisir sans réserve dans le livre de Mme Desbordes-Valmore. Voilà, je pense, pour les Bouquets et Prières, un assez bon nombre de lecteurs.

L’œuvre de Mme Desbordes-Valmore ne soulève aucune question d’art. Il faut la juger, comme elle a été écrite, avec abandon et simplicité. Pieux héritage d’un poète mort avant le temps, une œuvre vient de paraître, où la pensée de l’art règne au contraire, peut-être même avec trop de tyrannie : c’est le livre de Louis Bertrand, Gaspard de la Nuit, fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot.

M. Sainte-Beuve a déjà raconté les souffrances et la mort de Louis Bertrand. L’auteur de Gaspard de la Nuit a rendu le dernier soupir dans le lit d’un hospice. C’est un de ces poètes ignorés auxquels M. de Vigny a élevé dans son Chatterton un monument semblable à ceux que les sculpteurs antiques élevaient aux dieux inconnus. On s’est souvent révolté, quelquefois même avec une cruelle ironie, contre la partialité que nous donne la mort en faveur de ceux qu’elle atteint. Nombre de gens se plaignent de l’attrait de gloire mélancolique prêté aux périls d’une carrière ingrate par les honneurs funéraires qu’on rend aux poètes qui ont succombé. Les natures assez nobles pour s’enflammer au récit de toutes ces douleurs dont un peu de gloire est le seul prix, doivent réjouir et non pas attrister l’ame ; ce serait un malheur, et un malheur honteux pour un siècle, que de parvenir à les étouffer. Il faut désirer qu’il y ait toujours des soldats que l’espoir d’une ligne dans un bulletin de victoire empêche de sentir le sang couler de leurs blessures,