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LES COLONIES PÉNALES DE L’ANGLETERRE.

expédier des pauvres à nourrir. On dit que les anciens Scythes exposaient leurs vieillards dans le désert ; en ferons-nous de même pour nos malfaiteurs, et mettrons-nous aussi à la loterie des colonies pénales ? Cela serait une folie désormais sans excuse après l’exemple, après la leçon que les fautes de l’Angleterre nous ont donnée.

Les colonies pénales étaient une idée fausse qui approchait d’une idée vraie. Ce qu’on a tenté vainement de faire avec des condamnés, des libérés pourraient l’entreprendre après avoir payé leur dette à la loi. Supposez que les prisons de la métropole soient organisées de manière à relever les détenus de la dégradation morale qui pèse sur eux, ou tout au moins de façon à prévenir une corruption plus grande, quel mal y aurait-il à récompenser ceux qui auraient donné des gages de repentir, en leur ouvrant, à l’expiration de la peine, la perspective d’un établissement lointain ?

On conçoit que les états de la Nouvelle-Angleterre aient repoussé les colons souillés de crimes que leur envoyait le gouvernement de la mère-patrie, et que Franklin, dans son langage simple autant que hardi, comparait à des serpens à sonnettes. On s’explique encore l’horreur que les scélérats déportés à la Nouvelle-Galles ont inspirée aux sauvages de l’Australie. Mais des hommes que le châtiment aurait éprouvés, et qui auraient été purifiés par la souffrance, ne provoqueraient pas cette répulsion universelle dont les condamnés sont l’objet. Le seul fait d’avoir été jugés dignes de commencer une existence nouvelle en contribuant à reculer la frontière des sociétés civilisées leur conférerait un véritable droit aux égards de tous. Quant à eux, l’avantage serait évident ; on les arracherait aux antécédens et aux tentations de leur vie passée ; on ferait d’eux les pionniers de la nation ; on mettrait leur énergie, cette énergie qui s’était trouvée à l’étroit dans l’ordre civil, aux prises avec les obstacles naturels du sol et du climat, lutte salutaire qui ajoute aux forces morales de l’homme et d’où naissent les bonnes pensées. La société coloniale, que l’on ne fonde pas d’une manière durable avec des esclaves, peut commencer du moins par des affranchis. Les colonies de libérés nous paraissent le dernier mot de tout système pénitentiaire, et le premier de tout établissement colonial.


Léon Faucher.