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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

leur demeure hospitalière, asile sacré où l’on retrouve encore les saintes affections et les vertus patriarcales de la vieille Allemagne.

Avant de suivre dans ses phases nouvelles le mouvement de la littérature allemande, nous devions faire cette réserve, afin qu’on ne nous accusât pas de confondre dans la même critique les esprits sérieux et les prétendus réformateurs modernes, le savoir et la jonglerie, l’honnête modestie et la fatuité. Nos paroles s’adressent en ce moment à cette tourbe inquiète et mercantile d’écrivains qui se jettent comme des frelons sur les fruits qui tentent leur convoitise, et portent partout la piqûre de leur aiguillon. Depuis plusieurs années, il existe un fait affligeant qui a déjà été signalé dans cette Revue, et que nous devons livrer encore au jugement des honnêtes gens. Des hommes qui, soit pour suspicion de délit politique, soit pour quelque autre motif que nous ne voulons point rechercher, ont été forcés de quitter leur pays, sont venus se réfugier en France et y ont trouvé un asile libéral. Ils sont là, au milieu de nous, à l’abri des poursuites dirigées contre eux, accueillis avec tous les égards que la France a coutume de montrer à ceux qui invoquent son secours, protégés et en partie même salariés par notre gouvernement. Il semble que tout, dans leur situation, devrait leur inspirer un sentiment de sympathie pour la France, que si nos mœurs, nos idées, ne peuvent s’allier à celles qu’ils ont rapportées de leur terre natale, la confiance que nous leur témoignons, l’hospitalité franche et souvent affectueuse dont ils jouissent, devraient du moins leur graver dans le cœur une pensée de gratitude. Quelques-uns, il faut le dire, ont prouvé plus d’une fois qu’ils comprenaient les devoirs d’une telle position ; mais la plupart ont traité la France comme une terre ennemie. Chaque jour, les innombrables journaux de l’Allemagne reproduisent dans leurs colonnes des correspondances de Paris où l’on peint sous les couleurs les plus fausses nos hommes politiques, nos artistes et nos écrivains, où les évènemens les plus simples sont à tout instant dénaturés et noyés dans un tissu de circonstances mensongères. Ce sont les réfugiés allemands qui rédigent une grande partie de ces correspondances, et ces hommes qui crient au scandale quand un de nos écrivains, au retour d’un long voyage en Allemagne, essaie d’énoncer un jugement sur leur pays, ne se donnent pas même la peine d’étudier la nation au milieu de laquelle ils doivent peut-être passer toute leur vie, et dont ils parlent sans cesse avec tant d’assurance. Ils s’en vont de côté et d’autre furetant les on dit, épiant le scandale, recueillant les pages les plus obscures de nos livres les plus infimes, les scènes les plus bruyantes de nos débats parlementaires, pour en faire une caricature grossière, sans vérité et sans esprit.

À force d’entendre répéter les mêmes fables et de relire les mêmes récits répandus de toutes parts avec tant de persistance et d’audace, l’Allemagne, et cette fois je le dirai, l’Allemagne la plus honnête et la plus judicieuse ne doit-elle pas finir par en être impressionnée ? Ne doit-elle pas à la longue nous croire entachés de tous les ridicules et livrés sans défense à toutes les